Publié le Mardi 25 octobre 2011 à 11h09.

Poésie. Tranströmer ou le Séminaire du rêve1

L’attribution du prix Nobel de littérature au poète suédois, Tomas Tranströmer, nous fournit l’occasion d’évoquer ce genre littéraire que nous chroniquons relativement peu.

À quoi sert la poésie ? Et pourquoi en lire ? Pour bon nombre d’entre nous, la poésie reste associée à de pénibles souvenirs scolaires. Nous n’en avons souvent retenu que les longues heures passées à disséquer des textes, obnubilés par le nombre de pieds et les figures de style. Une fois franchi le cap du baccalauréat, cette branche de la littérature a été remisée aux oubliettes – sauf pour une poignée de lecteurs.

L’attribution du Nobel de littérature 2011 à Tomas Tranströmer est l’occasion de revenir au plaisir du texte qu’offre la poésie. Avec ce poète suédois, nous sommes loin de l’image d’Épinal de l’auteur grimpé sur un piton rocheux, barbe au vent et planant loin au-dessus des choses ordinaires. Car avant tout, la poésie de Tranströmer est ancrée dans la vie de tous les jours : Manhattan, Molokai, l’Islande ou l’ex-RDA, nous suivons le poète dans ses voyages, comme dans ses déplacements en train, en voiture et ses nuits au motel. L’écriture de Tranströmer est un corps à corps avec notre vie quotidienne et notre espace imaginaire, qui se percutent, se répondent et s’affrontent : « Quatre milliards d’hommes sur terre. / Et ils dorment tous, rêvent tous. / Dans chaque rêve se pressent des visages et des corps – / les gens que nous rêvons sont plus nombreux que nous. Mais ils ne prennent pas de place… »2. Le travail poétique prend des allures d’exploration scientifique de ce qui compose notre monde, en allant au-delà des évidences et en retrouvant l’ensemble des fils qui nous tissent et nous relient aux choses : « Un gant solitaire venait de passer, en virevoltant, à des kilomètres de sa main »3. Les objets et les situations banales, servant de point de départ de la plupart des textes, viennent renforcer la puissance d’évocation des images, qu’il s’agisse d’un ouragan : « Qu’il est pénible pour un papillon de remorquer une péniche ! »4, ou de la contemplation de New-York : « L’immense ville, là-bas, est une longue congère scintillante, une nébuleuse spirale vue de côté »5. Tranströmer est un véritable orfèvre de la métaphore : pas besoin d’avoir fait de longues études littéraires pour goûter ces images et se laisser entraîner dans un vaste parcours onirique qui s’efforce de saisir l’individu et l’histoire dans un même mouvement. Car l’attention accordée aux choses les plus simples ne signifie pas pour autant désintérêt à l’égard du fracas du monde. Mais le poète nous conduit à faire un pas de côté pour appréhender les événements : « Le temps n’est pas une distance en ligne droite, mais plutôt un labyrinthe »6, dans lequel les événements, qui truffent les journaux, se décomposent, « comme un souvenir qui peu à peu en nous se transforme »7.

Dans notre époque agitée, où les mots perdent leur sens et sont manipulés par les experts de la communication politique, la rigueur du travail poétique n’est pas accessoire. Tranströmer, avec d’autres, par ce travail opiniâtre, nous permet de retrouver, avec simplicité, le plaisir de la langue !

Henri Clément1.Titre d’un poème du recueil La Place sauvage (1983).2. ibid.3. Ouragan d’Islande. 4. ibid.5. Schubertiana.6. Répondre aux lettres.7. À propos de l’histoire.