Publié le Mardi 22 septembre 2015 à 10h51.

Pour Ida Brown, de Ricardo Piglia

Traduit par Roberto Amutio, Folio, 2015, 7,50 euros.

«Ils lisaient la Guerre de guérilla, du Che et prenaient la montagne. Ils lisaient Que faire ? de Vladimir Ilitch Oulianov Lénine et fondaient le parti du prolétariat ; ils lisaient les Cahiers de prison de Gramsci et devenaient péronistes. Ils lisaient les œuvres de Mao Zedong et, dans la foulée, annonçaient le début de la guerre prolongée. » (Page 263) Avec ce roman, Ricardo Piglia se moque gentiment de son passé militant argentin pour mieux dénoncer ce que sont devenus les USA où, suite à une injustice, on ne cherche plus à fonder un syndicat ou un parti, mais monte sur un toit pour mitrailler ses camarades de travail ou ses voisins.

Pour Ida Brown relate donc l’expérience d’un romancier argentin en crise répondant au nom de Renzi, invité à donner un séminaire dans l’une des grandes universités nord-américaines. Ce dernier observe d’abord d’un œil amusé les mœurs étranges de la vie académique aux États-Unis avant de plonger dans une brûlante liaison érotico-amoureuse avec Ida Brown, jeune universitaire brillante, rebelle et énigmatique. Leur « amour » est brutalement interrompu par la mort de celle-ci dans un mystérieux accident de voiture. Renzi, bouleversé, sort alors de son rôle d’observateur blasé et, tandis que les autorités classent rapidement l’affaire sous la pression de l’université, il s’aperçoit que des zones d’ombre persistent et se lance alors dans une enquête aux multiples rebondissements...

Égérie d’un groupe contestataire californien, Ida Brown était devenue spécialiste de Conrad et de son œuvre maîtresse Lord Jim. Elle l’avait fait venir, lui le spécialiste de W.H.Hudson écrivain naturaliste argentin, parce qu’un mystérieux groupe se revendiquant de la nature menaçait et assassinait les universitaires qui collaboraient avec l’industrie militaro-scientifique. Le message du groupe aux autorités se recoupant avec des citations de Conrad que la police n’avait pas vu ou voulu voir, Renzi, aidé par un professionnel, mène sa propre enquête.

Le roman de campus et l’histoire d’amour bifurque alors vers un thriller politique où la génération qui voulait changer le monde n’est pas épargnée. Une vieille intellectuelle russe amatrice de Mandelstam préservera et guidera pourtant notre apprenti détective vers la vérité à travers une farouche critique de la société américaine et de son devenir.

Sylvain Chardon