La Révolution et nous. La formation de la Théorie critique de 1789 à nos jours. Éditions la Brèche, 462 pages, 13 euros.
Un livre qui a pour titre la Révolution et nous a tout pour nous plaire : La Brèche, issue de l’expérience collective de Mai 68, en a intuitivement saisi l’intérêt. Le rapport à l’histoire des révolutions se précise dans le sous-titre du livre, puisque le point de départ est la Grande Révolution de 1789, qui se révèle comme un modèle critique éclairant les révolutions des conseils (ou soviets) du début du 20e siècle : russe, allemande, autrichienne et hongroise, avec leurs extensions turque et chinoise. Puis, les élans révolutionnaires de la libération du fascisme en 1945, le mouvement international de 1968 et la crise actuelle avec ses renversements et révolutions régionales sont analysés au fil des pages.
Clarifier le sens du concept de révolution
Mais la Révolution et nous n’est pas un livre d’histoire. C’est un livre qui expose la Théorie critique de l’École de Francfort, un courant qu’Alexander Neumann considère comme nommant le plus clairement les enjeux d’émancipation présents dans ces révolutions qui ont marqué l’histoire mondiale. Cela fait discussion, à gauche, et il s’agit de mener le débat publiquement car, aujourd’hui, les tentatives de détourner le mot révolution de son sens initial – une rotation qui vient mettre les choses à l’endroit – n’opèrent plus. La fin du 20e siècle a réduit la révolution, au choix, à une horreur totalitaire, à un slogan publicitaire de dentifrice révolutionnaire, à un jeu de mots, à une illusion romantique, une dangereuse utopie ou à une pièce de musée dans un monde postmoderne. Aujourd’hui, il s’agit de clarifier le sens du concept de révolution, face à un ordre planétaire qui marche sur la tête, où le capitalisme prime sur l’humanité, le mensonge propagandiste devient la règle, où la guerre veut se présenter comme la paix, l’esclavage comme la liberté, où l’état d’urgence prétend garantir la démocratie, et où de nombreuses théories universitaires ne cherchent plus à éclairer le sens d’action de la gauche. Orwell, un monde orwellien. Le mot émancipation est attaqué, le mot critique tend à disparaître du vocabulaire.
De Kant à Angela Davis
Comment conceptualiser la révolution de nos jours, après l’expérience de ses détournements sous le stalinisme, l’enlisement nationaliste de nombreuses révolutions anticoloniales et après 40 ans de propagande contre-révolutionnaire en Europe de l’Ouest, égrenée dans les domaines politiques, médiatiques, savants ? Ici, le livre de Neumann propose une approche inédite : remonter aux expériences collectives du passé, pour retrouver à chaque fois le sens des concepts, dans l’effort des penseurs (femmes et hommes) de nommer les situations, les principes théoriques et les perspectives de leur époque. Dans ce cadre, des concepts fondamentaux retrouvent tout leur sens : la critique, l’émancipation, le cosmopolitisme, la société bourgeoise, la domination, la lutte des classes, la révolution mondiale, la révolution permanente.
Car il s’agit de concepts qui ont été élaborés bien avant l’apparition du marxisme doctrinaire qui marque la fin du 19e siècle. Tour à tour, toutes les conceptualisations des philosophes et intellectuelEs sont alors reconstituées dans leur précision initiale, depuis Kant, Hegel et les premières féministes apparues depuis la révolution de 1789 (de Louise Félicité de Kéralio et Louise Dittmar à George Sand), en passant par la génération qui a salué la révolution internationale de 1848, jusqu’aux auteurEs les plus critiques du 20e siècle, dont la mésestimée Angela Davis, à côté d’autres auteurEs qui sont à peine cités dans le débat actuel. La Théorie critique, qui est associée à la création de l’Institut de Francfort en 1923, sert de véritable fil rouge pour retrouver un mouvement qui va de 1789 au présent – et du présent au souvenir des luttes passées. La révolution et nous.
(Extrait de la préface de l’ouvrage)
Présentation-signature, jeudi 19 mai 2022 à 18 h à la librairie La Brèche, 27, rue Taine, Paris 12e (M° Daumesnil)