Publié le Vendredi 28 avril 2017 à 16h16.

Punir, une passion contemporaine

Didier Fassin, Seuil, 2017, 17 euros. 

«La France a aujourd’hui la population carcérale la plus importante de son histoire en temps de paix. En soixante ans, le nombre de prisonniers a plus que triplé. Or cette situation ne correspond pas à un accroissement de la criminalité mais à une augmentation de la sévérité », explique dans une interview Didier Fassin, le sociologue auteur ce livre. Il s’interroge sur les ressorts sociaux, politiques et philosophiques du « moment punitif » que nous connaissons, avec le développement des politiques sécuritaires, expression de l’état pathologique de la société actuelle. Loin de répondre aux justifications qu’avancent ceux qui la préconisent, cette politique aggrave les tensions et les disparités sociales, et favorise la criminalité. Ce que démontre brillamment ce livre.

Cet emballement carcéral est un phénomène international : à titre d’exemple, pendant la décennie 1990, la population carcérale double en Italie et aux Pays-Bas. Au cours des années 2000, elle augmente de 145 % en Turquie, de 115 % au Brésil. Or la prison ne sert à rien. Pire, elle aggrave la situation. De solution qu’était le châtiment, il est devenu problème, « à cause du prix qu’il fait payer [aux] familles et [aux] communautés, à cause du coût économique et humain qu’il entraîne pour la collectivité, à cause de la production et la reproduction d’inégalités qu’il favorise, à cause de l’accroissement de la criminalité et de l’insécurité qu’il génère, à cause enfin de la perte de légitimité qui résulte de son application discriminatoire ou arbitraire ».

L’auteur procède à un « dialogue critique », selon sa formule, avec les définitions juridiques et philosophiques de la juste peine pour aborder trois questions : qu’est-ce que punir, pourquoi punit-on, qui punit-on ? Il démontre que cette conception barbare du châtiment comme l’infliction d’une souffrance n’a pas toujours existé dans les sociétés humaines puisque certaines sociétés ont préféré d’autres formes de réparation. Il met à nu la sanction comme vengeance, une cruauté presque archaïque, « une pulsion, plus ou moins refoulée, dont la société délègue les effets à certaines institutions et professions ». Une conception d’une société fondée sur des rapports de domination qui n’a d’autres réponses aux maux dont elle souffre que la répression qui les aggrave.

Et s’établit une corrélation entre la montée des inégalités, le délitement social, et l’inégale distribution sociale des peines. La prison touche de façon disproportionnée les catégories les plus défavorisées de la population. La peine apparaît comme une manifestation crue de la violence politique complément de la violence sociale à l’œuvre dans cette société inégalitaire.

Une politique moins répressive et moins discriminatoire est une nécessité sociale, humaine et morale. Elle ne peut résulter du simple raisonnement et de réformes, mais exigent une révolution qui remette sur pied toute la mécanique sociale pour qu’elle puisse répondre aux besoins humains et non à ceux d’une minorité, qui n’ont d’autres réponses aux drames qu’engendre leur politique que la répression... Une logique infernale. Ce livre en démonte les mécanismes éclairant ainsi les possibilités d’y mettre fin.

Yvan Lemaître