De Goliarda Sapienza. Traduit de l’italien par Nathalie Castagné. Le Tripode, 23 euros.
La conquête de la liberté... L’histoire de ce roman réédité aux éditions Le Tripode est en elle-même l’illustration de la longue lutte qu’exige la conquête des moyens d’une existence pleine et entière, libre, à l’image de celle de son auteure Goliarda Sapienza.
Ce roman, elle l’a écrit entre 1967 et 1976, presque dix ans de sa vie, et il ne sera publié qu’en 1998, après sa mort en 1996. L’éditrice française Viviane Hamy lui a donné une troisième naissance avec la publication de sa traduction française en 2005.
Goliarda Sapienza (1924-1996) est née à Catane, en Sicile, dans une famille socialiste, anarchiste. Son père, avocat syndicaliste, fut l’animateur du socialisme sicilien jusqu’à l’avènement du fascisme. Sa mère, Maria Giudice, directrice du Grido del popolo (le Cri du peuple), dont Gramsci était rédacteur, fut la première femme à diriger la Chambre du travail de Turin, et connut la prison à la suite du soulèvement de 1917 contre la guerre.
Son héroïne Modesta, née aussi en Sicile en 1900, dans une famille misérable, incarne à sa façon les combats émancipateurs de son siècle, communiste, antifasciste, féministe. Placée dans un couvent sinistre de l’arrière-pays sicilien, après avoir été violée et avoir perdu sa mère, elle en sortira pour entrer dans une famille noble dont elle assumera la responsabilité et qu’elle maintiendra à flot. Devenue « princesse », elle va mener une existence de femme débarrassée de toutes les conventions, proche des milieux communistes et féministes, sur fond de montée du fascisme puis de la guerre. Sa maison sera une sorte de phalanstère où des gamins nés de princes, de servantes, de paysans ou de combattants communistes, se rencontrent et se confrontent pour apprendre ensemble à devenir des êtres libres.
Au bout d’elle-même
Le récit, tumultueux, baroque, mêle intelligence et sensualité à travers l’itinéraire d’une femme dont chaque acte va jusqu’au bout d’elle-même contre toutes les formes d’oppression, d’enfermement. Elle ne craint aucune confrontation ni combat, convaincue que chacun constitue un moment de transformation, de conquête de soi, d’affranchissement.
Le monde change, et Modesta évolue avec lui, fidèle à elle-même dans sa soif de vivre. « Étonnée, elle découvre la signification du savoir que son corps a su conquérir dans ce long, bref trajet de ses cinquante ans. C’est comme une seconde jeunesse avec en plus la conscience précise d’être jeune, la conscience des manières de jouir, toucher, regarder. Cinquante ans, âge d’or des découvertes. [...] Comment communiquer le bonheur de chaque acte simple, de chaque pas, de chaque rencontre nouvelle... de visages, de livres, de crépuscules et d’autres ? [...] S’arrêter là dans cette plénitude de joie des sens et de l’esprit ? »
Yvan Lemaitre
Lire aussi son récit autobiographique les Certitudes du doute chez le même éditeur