Publié le Lundi 15 décembre 2014 à 10h24.

Roman : Le météorologue, Olivier Rolin

Seuil, 2014, 18 eurosAlexeï Féodossiévitch Vangenheim fait partie de ces nombreux enfants de la bourgeoisie ou de la noblesse ralliés au régime issu de la Révolution russe. Il croit à la construction d’une société nouvelle et dans ce cadre, joue honnêtement sa partition, celle d’un scientifique, directeur du Service hydro-météorologique : « Son domaine, c’était les nuages » est la première phrase de l’ouvrage qu’Olivier Rolin lui a consacré.

Ce livre est issu d’un parcours de recherche en Russie entrepris après la découverte au monastère des îles Solovki (transformé en 1923 en premier camp de détention) d’un album édité par la fille d’un déporté à la mémoire de son père. La moitié de cet album est constitué de reproductions de lettres que Vangenheim lui a envoyées du camp alors qu’elle était enfant, ornées de magnifiques et émouvants dessins (de plantes, d’animaux…) dont certains sont reproduits à la fin du livre.Vangenheim est soucieux de mettre la météo soviétique au niveau le plus avancé, il collabore avec des scientifiques étrangers : cela lui vaut en mars 1933 des articles de presse contenant des allusions au « courant mencheviste manifeste dans la presse du service hydro-­météorologique». En fait, il faut bien des responsables aux échecs de la politique économique stalinienne : Vangenheim est décrété inspirateur d’un groupe clandestin visant à saboter la lutte contre la sécheresse en fournissant de mauvaises prévisions météorologiques...

Innocents et « KRTD »La suite, c’est son arrestation, sa condamnation à dix ans de camp, et puis avec la grande Terreur de 1937 sa liquidation clandestine. Sa femme apprendra en 1956 à la fois sa réhabilitation... et sa condamnation à mort. Olivier Rolin enquête sur le parcours de Vangenheim après son départ des Solovki vers son lieu d’exécution et en éclaircit les circonstances.Le météorologue ne fut pas seul à entreprendre ce funeste voyage. On lit cette inscription encore gravée sur un mur du camp : « 205 KRTD sont partis le 17.10.37 pour l’inconnu ». « KRTD », c’est contre-révolutionnaire trotskyste. « KRTD », Vangenheim ne l’était pas, il faisait confiance au parti, à Staline : « c’était à certains égards un homme ordinaire, mais un innocent ». À travers le livre d’Olivier Rolin, on perçoit ce qu’a été l’espoir d’un monde nouveau et sa progressive annihilation par le stalinisme, « cette alchimie à rebours qui a transformé l’or en vil plomb ».Il faut lire le livre de Rolin : son écriture simple, sans fioritures inutiles, et sa capacité d’évocation s’ajoutent à l’intérêt de sa démarche. Lui, qui dans un ouvrage précédent (Tigre en papier) a renvoyé la période de Mai 68 à « la nuit des temps », nous explique plus justement aujourd’hui en quoi l’histoire du météorologue est une part de notre histoire. Contrairement sans doute à Rolin (qui fut un dirigeant maoïste), nous n’avons pas renoncé à l’espérance révolutionnaire, mais refuser d’abdiquer implique aussi un devoir de lucidité et de mémoire envers tous ceux qui périrent : les prétendus « KRTD » comme les innocents.

Henri Wilno