Publié le Dimanche 10 décembre 2023 à 10h00.

Sous les sapins, des livres et de la politique

La sélection des libraires de La Brèche pour vos cadeaux de Noël, c’est du sérieux, cette année ! Comme tous les ans, d’ailleurs ! Sous le sapin, ces livres feront leur effet. Surtout les écrits militaires de Trotsky.

Essais

 

Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, de David Graeber et David Wengrow

Les liens qui libèrent, 2023, 752 pages, 12,90 euros.

Cette somme d’érudition vient tout juste de paraître en poche à un prix enfin abordable. Anthropo­logue engagé, Graeber, avec son ami Wengrow, s’attache à déconstruire l’histoire de l’humanité telle qu’elle est enseignée et à la reconstruire avec tous les apports de la recherche depuis vingt-cinq ans (voir l’Anticapitaliste n° 683 du 16 novembre 2023). Époustouflant, l’étapisme (eh oui en anthropologie aussi !) en prend un coup.

Petit éloge de la médiocrité, de Guillaume Meurice

Les Pérégrines, 2023, 198 pages, 14 euros.

Le sous-titre est important, tout l’auteur y est. Sûr que c’est lui qui a imposé le texte du bandeau ! Son impertinence, sa gouaille, ses prises de partie sont légendaires. Et sa personnalité ne s’arrête pas là, il pose des questions dérangeantes : Peut-on aimer les animaux et les manger ?

Israël-Palestine, la solution : un État, de Gadha Karmi

La Fabrique, 2022, 168 pages, 13 euros.

L’auteur, femme palestinienne, fait la démonstration-choc : Un « seul État sur les terres de la Palestine historique, où les deux peuples vivent sur un pied d’égalité… où toute la population jouit des mêmes droits politiques et civils, ce qui est une solution impossible aujourd’hui mais reste la seule et unique solution souhaitée ». Tout est dans la contradiction entre l’État binational impensable aujourd’hui… et l’absence d’alternative. Le patchwork actuel, la discontinuité territoriale, résultat de l’empiètement pluridécennal du territoire palestinien, l’interdit. Pourtant, 30 % des PalestinienEs aujourd’hui sont pour la solution à un État.

Antisionisme, une histoire juive, de Béatrice Orès, Michèle Sibony, Sonia Fayman

Syllepse, 2023, 366 pages, 25 euros.

Tous les plus grands penseurs juifs sont convoqués : la démonstration est définitive : l’idéologie sioniste est extérieure à la pensée juive, ce n’est qu’une politique mortifère. Avec les textes du Bund, du Matzpen, de I. Deutscher, D. Bensaïd, L. Trotsky, H. Arendt, I. Halevi, K. Kraus, M. Warshawski, A. Léon, M. Rodinson, I. Pappé, M. Rajsfus, G. Sholem, M. Buber, A. Serfaty, etc.

Comment la Révolution s’est armée, de Léon Trotsky

L’Harmattan, cinq tomes au prix de 48 euros, 52 euros, 38 euros, 41 euros, 45 euros, 2023.

Les prix sont élevés mais justifiés. Pour la première fois en français, ces écrits dit militaires constituent une archive indispensable pour comprendre la lutte engagée après la Révolution russe et ses retentissements sur le jeune État soviétique et le mouvement ouvrier mondial. Publiés et traduits par Jean-Jacques Marie (qui viendra les présenter le samedi 9 décembre à La Brèche), c’est l’une des principales œuvres politico-militaires du 20e siècle. Trotsky insistait pour dire « politiques » et pas « militaires ».

Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs, d’Hugo Bouvard, Ilana Eloit, Mathias Quéré

Luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970-1990), éditions La Dispute, 2023, 336 pages, 28 euros.

Le livre s’articule autour de quatre axes novateurs. Il rompt d’abord avec le tropisme parisien et met en lumière des expériences militantes dans toute la France. Il replace les mobilisations lesbiennes, longtemps marginalisées, au centre et interroge les catégories forgées au cours de ces luttes, aux identités qu’elles incluent mais qu’elles relèguent à la marge. Enfin, il montre comment la formation de communautés s’ancre dans des pratiques culturelles et artistiques élargissant la conception du politique.

Les hommes et le féminisme, faux amis, poseurs ou alliés ? de Francis Dupuis-Déri

Textuel, 2023, 160 pages, 17,90 euros.

Comment se mettre aux côtés des féministes lorsqu’on est un homme ? Comment être un bon allié, dans la vie privée comme dans la sphère publique et l’action militante ? Et cela sans tomber dans une attitude paternaliste, et sans prendre la pose sur la photo de famille féministe, avant de disparaître à la première difficulté ? Telles sont les épineuses questions auxquelles se confronte le politologue Francis Dupuis-Déri dans cette enquête passionnante.

Le Syndrome Magneto, et si les méchants avaient raison ? de Benjamin Patinaud

Éditions Au diable vauvert, 2023, 448 pages, 23 euros.

Analyser des œuvres de pop culture sous un prisme philosophique et sociologique, c’est tout le talent du youtubeur Benjamin Patinaud, alias Bolchegeek, dans ses vidéos. Pour son premier livre, il s’attaque à la figure controversée du méchant. Pourquoi certains ne nous laissent pas indifférents ? Leur méchanceté ne serait-elle qu’une affaire de point de vue ? Un livre passionnant et inattendu, loin de ne s’adresser qu’aux geeks !

Bandes dessinées

Le chant des Asturies, de Zapico Alfonso

Futuropolis, 2023, tome 1, 224 pages, 25 euros et tome 2, 256 pages, 27 euros.

À partir des mémoires familiales des villages miniers des Asturies, Alfonso Zapico construit ce roman graphique monumental de près de 1 000 planches en quatre volumes, dont les deux premiers sont parus en français. C’est une épopée historique, personnelle et sentimentale de la Révolution des Asturies d’octobre 1934 en Espagne.

Thomas Sankara, rebelle visionnaire, de Pierre Lepidi, Françoise-Marie Santucci, Pat Masioni

Marabout, 2023, 160 pages, 23,95 euros.

La petite Léa, 10 ans, demande à ses parents pourquoi elle s’appelle Léa-Thomas ? Ils lui racontent Thom Sank, aussi appelé le Che africain, élu président de la République du Burkinabé en 1983 dans cette ancienne colonie française. Idéaliste, communiste, écologiste, féministe, il a été tué à Ouagadougou en 1987 et on comprend pourquoi. Roman graphique passionnant qui retrace récits, anecdotes et fragments de sa courte vie.

Romans et récits

Ouragans tropicaux, de Léonardo Padura

Métailié, 2023, 450 pages, 23,50 euros.

L’auteur aime passionnément son île, la raconte en historien, sociologue, psychologue même. L’intrigue polar (excellemment menée) semble être un prétexte pour faire le portrait de La Havane, dans toute sa pluralité. Deux histoires s’entremêlent, la guerre des proxénètes des années 1910 et 2016, quand une ordure de buros, « incarnation du mal pour les milieux artistiques » dans les années 1970, est assassiné… alors qu’Obama et les Rolling Stones doivent visiter l’île. La police est débordée mais Mario Condé est là.

Le temps des humbles, de Désirée et Alain Frappier

Chili 1970-1973, Steinkis Éditions, 2020, 360 pages, 25 euros.

Soledad a quinze ans, Ricardo 18. Il est membre du Mir, mouvement de la gauche révolutionnaire ; elle fait partie des sin-casa, qui vivent sous des tentes de fortune près de Santiago. Ils se marient, ont deux enfants, s’impliquent dans les espoirs et les luttes de l’Unité populaire, mettant tout en œuvre pour défendre ce bref interstice conquis par les humbles, jusqu’à sa fin tragique.

Herbier de prison, de Rosa Luxemburg

Héros-Limite, 2023, 208 pages, 36 euros.

Ce livre est beau, très beau. Il s’agit de la collection de végétaux faite par Rosa Luxemburg pendant ses années de prison entre 1915 et 1918. « Au fond, j’étais faite pour garder les oies, et si je virevolte dans les tourbillons de l’Histoire, c’est par erreur ». Son assassinat en janvier 1919 par la soldatesque en est certes une, mais son apport théorique et pratique à la révolution mondiale est majeur. On pensait connaître tous ses écrits, eh bien non ! Les notes de cet herbier carcéral hurlent la liberté que la Révolution allemande de 1918 lui redonnera.

La résistance des bijoux, d’Ariella Aïcha Azoulay

Contre les géographies coloniales, Éditions Rot Bo Krik, 2023, 240 pages, 15 euros.

À la mort de son père, Juif d’Oran naturalisé français puis israélien, Ariella Azoulay découvre que sa grand-mère portait le prénom Aïcha. En deux récits mêlant autobiographie et théorie politique, l’autrice serpente dans l’histoire de sa famille. Elle met en parallèle les colonialismes français en Algérie et sioniste en Palestine et leur continuité, comme la volonté obstinée de détruire l’enchevêtrement séculaire des mondes juifs, arabes et berbères. Qu’elle revendique pour mieux le restaurer.

Carnets de la Révolution russe, de Nikolaï Soukhanov

Traduit du russe par Guillaume Fondu, La victoire était entre nos mains (tome 1, février-juin 1917), Smolny, 2023, 896 pages, 32 euros et Au milieu du feu et de la poudre (tome 2, juillet-octobre 1917), Smolny, 2023, 864 pages, 32 euros.

Enfin traduits du russe, ces carnets portent sur l’ensemble du processus révolutionnaire de 1917 (voir l’Anticapitaliste n° 663 du 25 mai 2023). L’auteur, journaliste, menchevik internationaliste est courtisé par tout le monde. Il va partout, rencontre tous ceux qui comptent et ne rate aucun évènement. Sa plume est excellente. La traduction est de très haut niveau. Un témoignage tellement vivant sur 1917, très loin des images d’Épinal !