Compagnie Monsieur Madame, du 24 février au 6 mars à La Parole errante (Montreuil).
Poète et résistant français, militant du PCF, déporté aux camps de Buchenwald et Dachau, Robert Antelme a publié en 1947 son unique ouvrage, l’Espèce humaine1, sur son expérience concentrationnaire.
Ce texte exceptionnel a soulevé l’enthousiasme de l’actrice et metteuse en scène Maylis Bouffartigue. Elle s’est associée à Olivier Le Cour Grandmaison2, politologue, universitaire travaillant notamment sur la littérature concentrationnaire, membre du comité de soutien de l’Association Primo Levi, pour sélectionner des extraits du texte de Robert Antelme et créer la dramaturgie du spectacle.
Robert Antelme ne veut pas « raconter » son vécu concentrationnaire, il veut nous donner à comprendre ce que veut dire le mot extermination et ce qu’est la force de résistance de l’espèce humaine et sa nature même. Antelme n’était pas juif, c’était un résistant et un politique, enfermé dans un camp où les Allemands ont décidé d’exterminer les hommes par le travail. Ne pas les nourrir, ne pas les soigner, les faire travailler jusqu’à la mort...
Contrairement à ce qu’espèrent les bourreaux, les SS, Robert Antelme démontre que plus ils essaient de détruire ce qui est humain, plus ils redonnent de valeur à la vie. La nature de l’espèce humaine éprouvée dans ses limites extrêmes se révèle pleinement. Ce texte touche à l’expérience extrême de la condition du prolétaire, « les rayés » ramenés dans les camps à la nature de déchet à détruire. Les bourreaux n’entretiennent pas la force de travail, ils l’exterminent par le travail. Le supplicié va résister avec le seul moyen à sa disposition, vivre encore. On ne peut pas perdre sa dignité à manger des épluchures quand la vie même est la seule possibilité. A contrario le texte dénonce les kapos (à transposer dans d’autres lieux), prêts à perdre toute dignité pour avoir plus que les épluchures.
« Lutter raisonnablement contre la mort »
Plus une dictature, un ordre quel qu’il soit, s’acharne à nier l’humanité de l’homme, plus il la met en évidence.
« Nous sommes tous, au contraire, ici pour mourir. C’est l’objectif que les SS ont choisi pour nous. Ils ne nous ont ni fusillés ni pendus mais chacun, rationnellement privé de nourriture, doit devenir le mort prévu, dans un temps variable. Le seul but de chacun est donc de s’empêcher de mourir. Le travail est vidant – pour nous, absurde – mais il use, et les SS veulent que nous mourions par le travail. Aussi faut-il s’économiser dans le travail parce que la mort est dedans. Militer, ici, c’est lutter raisonnablement contre la mort ».
Une sélection de textes tirées de l’ouvrage d’Antelme sont dits sur scène par deux acteurs, Diogène Ntarindwa et Maylis Isabelle Bouffartigue elle-même, qui inclut les spectateurs dans l’espèce humaine et dans le « là-bas » d’Antelme, par un dispositif scénique de miroirs.
Ce spectacle à ne pas manquer – il ne sera joué que 12 fois – est une occasion (supplémentaire) de se pencher sur la nature de l’oppression, en particulier sur celle de l’opprimé, et d’aborder un texte magnifique, malheureusement moins connu que ceux, pour ne citer qu’eux, de Primo Levi ou de Jorge Semprun.
Catherine Segala
La Parole errante, 9 rue François Debergue à Montreuil. Relâche le lundi 29 février. Réservations : 01 48 70 00 76. 10 euros.