D’Anna Seghers. Traduit de l’allemand par Jeanne Stern. Éditions Alinéa 1986, 1990.
Anna Seghers, nom de plume de Netty Reiling, est née en 1900 dans une famille juive de Mayence. Elle publie son premier roman en 1928 et s’engage au KPD. Elle crée l’Union des écrivains prolétaires et révolutionnaires en 1929. Ses livres seront interdits et brûlés à l’arrivée des nazis au pouvoir. Elle fuira avec son mari (le sociologue hongrois Laszlo Radvanyi) et ses deux filles à Paris en 1933. Ces éléments biographiques sont constitutifs de la trame de Transit.
Anna Seghers a entrepris l’écriture de Transit au début de l’année 1941, à Marseille, dans une tension qu’on imagine extrême. Dès l’arrivée des nazis à Paris, son mari avait été interné au camp de Vernet, près des Pyrénées, avec tous les fugitifs, les antifascistes, les persécutéEs du régime nazi, avec les républicains espagnols aussi. N’ayant pas réussi à fuir à temps, Anna Seghers se cachera d’abord à Paris, séparée de ses enfants.
Le récit de Transit démarre à Paris, précisément à ce moment. Le poète Weidel vient de se donner la mort dans un hôtel, et le narrateur anonyme du roman est porteur d’une lettre qui lui est destinée. Il se retrouve même dépositaire d’un manuscrit inachevé.
Simuler pour parvenir à dire
La fiction permet de se tenir suffisamment à distance, de ne pas céder à l’épouvante, à la folie qui guette. Anna Seghers avait appris le suicide d’Ernst Weiss, son confrère romancier, en exil lui aussi ici. Elle parvient à rejoindre « le flot ininterrompu des possédés du départ », « le cortège des âmes trépassées » qui converge vers Marseille. Où elle loge avec ses filles qu’il faut nourrir. Où elle fait le siège des consulats pour rassembler tous les papiers nécessaires – visa de sortie, visa de transit (Martinique, Caracas…), visa d’arrivée (Mexico), billets de bateau –, toute matière que le lecteur retrouvera tout au long du récit. En permanence, il faut pouvoir prouver qu’on est bien en partance pour ne pas être expulsé vers le département d’origine. Marseille, où elle s’acharne à écrire envers et contre tout. À l’instar du narrateur, usurpateur d’identité, elle travaille avec méthode : « Le résultat […] a été de me révéler au pressentiment de ma propre invulnérabilité ». Toute la famille sera bientôt à Mexico.
Transit vient d’être porté à l’écran par Christian Petzold, réalisateur de Barbara et de Phoenix.
Fernand Beckrich