Les débats sur l’agriculture évacuent souvent les salarié(e)s, soit près d’un million de permanents et de saisonniers dans les exploitations agricoles, dans les entreprises agroalimentaires, les négoces et les coopératives. On s’intéresse à juste titre aux difficultés des agriculteurs, moins aux salaires et aux conditions de travail de cette partie du prolétariat
Jadis presque chaque ferme avait ses valets et embauchait des journaliers au moment des récoltes. La mécanisation est passée par là, accélérée par la pénurie de main-d’œuvre due à l’hécatombe de 1914-1918 et par l’exode rural. La tendance s’est inversée. L’agrandissement des exploitations exige davantage de main-d’œuvre, notamment en élevage mais aussi en horticulture. Les céréaliers emploient peu de salariés permanents mais ont recours à des entreprises de travaux pour les labours, les semailles et les moissons. Or les aides familiaux ne sont plus au rendez-vous, conjoints et enfants exerçant d’autres métiers. La volonté des femmes de s’affranchir de l’esclavage qu’ont connu leurs mères et de disposer d’une indépendance financière n’y a pas été pour rien. Les saisonniers restent nombreux lors des vendanges et des cueillettes.
Les travailleurs des industries agroalimentaires
Ces entreprises ont connu un développement rapide du fait des évolutions des modes de consommation vers davantage de produits transformés. Cette importante branche de l’industrie a été moins touchée que d’autres par la crise et compte plus de 600 000 salariés, même si les concentrations et les délocalisations, comme dans l’industrie sucrière, jouent contre l’emploi.
On connaît les grands groupes comme Danone, Nestlé, Unilever, les gros opérateurs comme Bigard, mais l’agroalimentaire est le domaine de PME qui sont contrôlées par les groupes industriels, solution trouvée pour échapper aux seuils sociaux et se livrer au jeu des cessions. Ainsi, acquise par Danone, la biscuiterie LU a subi en avril 2001, alors qu’elle était bénéficiaire, la fermeture de deux sites et un plan de licenciements. Six ans plus tard, Danone revendait LU au groupe US Kraft Foods pour 5,3 milliards d’euros.
Mais si les actionnaires se gavent, les salaires sont bas – pour un ouvrier 10 à 15 % de moins que dans d’autres branches. La précarité, les embauches en CDD, le temps partiel imposé et la flexibilité sont monnaie courante. Les conditions de travail sont le gros point noir. La pénibilité, le port de lourdes charges, l’exposition au froid ou à la chaleur font de l’agroalimentaire la branche industrielle comptant un nombre d’accidents du travail et une fréquence de maladies professionnelles nettement supérieurs à la moyenne. Les normes de sécurité sont considérées comme des contraintes nuisant à la productivité.
La prédominance de PME favorise le paternalisme, l’absence de syndicats. Les salariés ne sont pas pour autant résignés. Contre Lustucru, Nestlé, Unilever, contre Pilpa, ils se sont battus pour les emplois, imposant des solutions de reprise et allant jusqu’à constituer leur SCOP.
La voie difficile de l’unité ouvrière et paysanne
Tout devrait conduire la majorité du monde paysan à converger avec les autres classes exploitées. Il y eu des exemples en Bretagne et dans le pays nantais avant 1968 et pendant la grève générale, les paysans aidant les familles ouvrières. Cependant la volonté manifestée par la création du mouvement des Paysans travailleurs, un des ancêtres de la Confédération paysanne, n’a pas débouché sur un front permanent de lutte.
Les facteurs de division dominent. En 1960, les négociants expéditeurs avaient mobilisé les salariés en les menaçant de chômage contre la grève des livraisons d’artichauts des producteurs bretons. A l’inverse, il arrive que des commandos paysans tentent de casser des grèves dans l’agroalimentaire, notamment dans des laiteries.
La plupart des agriculteurs se considèrent comme des chefs d’entreprise, écrasés par les « charges » au nombre desquelles les cotisations sociales et victimes de l’acharnement des contrôleurs du travail et de la sécurité sociale. Ajoutons qu’un paysan qui, tout comme un artisan, trime bien plus de 35 heures a du mal à accepter que ses ouvriers rechignent à en faire autant, d’où des rapports sociaux parfois rudes.
La FNSEA (qui adhère au Medef) contrôle la plupart des coopératives, acteur important de la collecte et de la transformation. Or ces coopératives, pas toujours « sociales et solidaires » avec les agriculteurs, ne le sont pas du tout avec leurs salariés qui, même dans les petites structures, ne sont pas mieux traités que dans les entreprises privées.
Les appels abstraits à l’unité ouvrière et paysanne sont insuffisants. Ce n’est qu’en prenant en main les entreprises que les salariés pourront tenter, comme le font les ex-FRALIB avec leur SCOP, de tisser d’autres liens avec les producteurs, dans une logique non capitaliste.
Gérard Florenson