Publié le Mardi 26 septembre 2017 à 10h41.

Nucléaire : dette écologique du capitalisme. Quels enjeux pour l'écosocialisme avant et après l'arrêt ?

INTRODUCTION

La dette écologique léguée par l’industrie nucléaire représente un enjeu politique énorme pour les années, décennies et siècles à venir. Il va bien au-delà de l’arrêt du nucléaire et à ce titre concerne l’avenir de l’humanité.

Le NPA se bat pour un monde sans nucléaire, civil et militaire. La CNE du NPA a engagé une réflexion sur des mesures concrètes pour arrêter le nucléaire sous 10 ans et proposé des solutions alternatives pour produire de l’énergie électrique. Tout ce travail a abouti à une brochure qu’on vous recommande vivement de lire et de diffuser (disponible sur le site).

 

Mais l’arrêt du nucléaire ne signifie pas pour autant un monde totalement et définitivement débarrassé du risque nucléaire ; c’est la dette écologique du capitalisme envers les peuples de la planète :

  • dette du capitalisme car aujourd’hui, après la chute des bureaucraties de l’ex-URSS avec ses pays satellites et la conversion en Chine du PC à l’économie de marché - pays dans lesquels dominaient essentiellement les intérêts militaires - c’est aujourd’hui les intérêts économiques et la loi du profit qui sévissent partout dans le secteur de l’industrie nucléaire, en coexistence avec le nucléaire militaire. La course aux économies dans un contexte de déréglementation du marché de l’énergie rend le nucléaire civil encore plus dangereux.

  • dette écologique car elle devra malheureusement être supportée par les « générations futures », y compris dans une société débarrassée du capitalisme.

 

Ceci concerne donc directement le combat politique du NPA. La CNE a discuté de ces enjeux, qui doivent être intégrés dans notre lutte anticapitaliste. Pour cela, il faut en finir avec la loi du silence, qui se traduit entre autres par des informations partielles, partiales ou fausses, où les véritables enjeux politiques sont systématiquement escamotés par les politiques et les médias. La CNE a donc jugé qu’il était important de pouvoir débattre de ce sujet (la dette écologique du capitalisme liée au nucléaire) à l’UE, avec 2 volets : le démantèlement des installations et surtout les déchets radioactifs. Et comme l’UE du NPA est un cadre collectif militant qui doit donner du sens à la démarche « apprendre pour comprendre, comprendre pour agir », la CNE a considéré aussi bien entendu que cette réflexion ne pouvait être déconnectée du contexte politique. Or deux évènements ne peuvent être ignorés lorsqu’on veut discuter sérieusement de l’avenir du nucléaire, notamment en France, pays le plus nucléarisé au monde :

  1. d’une part les problèmes sur le parc nucléaire existant et sur le nouveau réacteur EPR en construction ;

  1. d’autre part l’élection d’Emmanuel Macron et la mise en place d’un gouvernement pro-nucléaire, qui va tout faire pour pérenniser et développer la filière.

 

L’atelier comportera donc 2 parties :

  • partie 1 : état des lieux de la situation en France et des obstacles représentés par la politique du gouvernement Macron pour sortir du nucléaire ;

  • partie 2 : enjeux liés au démantèlement des installations et au stockage des déchets radioactifs, en particulier le projet Cigéo.

 

 

PARTIE 1 -Le contexte politique de la question nucléaire aujourd'hui en France :un tandem stratégique pour imposer des choix qui aggraveront la dette écologique

 

Le contexte politique.

Le gouvernement Macron est pronucléaire, il le revendique, ce n'est pas nouveau, on a connu ça depuis De Gaulle et tous les gouvernements qui se sont succédé depuis.

Mais là, on a un attelage un peu particulier avec le tandem Édouard Philippe-Nicolas Hulot, et un gouvernement qui va imposer, dans les mois à venir, des décisions cruciales en matière de nucléaire qui vont accentuer les risques d'accident majeur et aggraver la dette écologique .

 

Édouard Philippe a été directeur des affaires publiques chez AREVA de 2007 à 2010, c'est à dire chargé d'entretenir des relations avec le monde politique.

 

Poste d'influence, exercé dans une grande discrétion sur ses activités au sein de l'entreprise dans laquelle personne ne se souvient vraiment de lui. Proche de Juppé en 2007, il connaît parfaitement le système politique et l'UMP, et devient le messager du nucléaire dans ce milieu. Il est recruté par AREVA, en cumulant cette fonction avec celle de maire adjoint du Havre, tout en étant conseiller régional de Haute Normandie.

« Lobbyiste du nucléaire » de 2007 à 2010, il l'était toujours quand il a voté, en tant que député LR, contre la loi de transition énergétique de Ségolène Royal qui prévoit de réduire de 75 à 50% la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici à 2025.

 

A ce poste, il a eu à gérer, entre autre, les déboires de l'EPR finlandais, l'affaire Uramin et le scandale écologique et sanitaire des mines au Niger, c'est la période noire pour AREVA. Pour autant, il déclare au micro de France inter en mai 2017 être fier d'avoir travaillé chez AREVA.

Bizarrement, comme l'a révélé la presse, sa déclaration de revenu ne fait apparaître aucun revenu provenant d'AREVA. En infraction avec la loi, bénéficierait-il de « l'immunité nucléaire » ?

 

Au moment où l’État vient d'injecter 4,5 milliards dans le capital d'AREVA, pour éponger les trous notamment du scandale Uramin, on n'a vraiment aucun doute sur sa vision stratégique de la politique énergétique et le nucléaire en particulier. Cf article de médiapart de Martine Orange du 25/06/2017.

 

Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire,.qui déclarait à la fête de l'huma en 2008 «Le capitalisme est obsolète, car les ressources de notre monde sont limitées.» est le faire-valoir écologiste de ce gouvernement,

A son sujet, le canard enchaîné a révélé en juillet 2017 que sa fondation rebaptisée « fondation pour la nature et pour l'homme » depuis qu'il a passé la main à Audrey Pulvar, a reçu de gros chèques depuis plusieurs années, notamment EDF qui a versé 460000€/an jusqu'en 2012 et 100000 ensuite, Véolia 200000€ par an, sans oublier Vinci, TF1, Carrefour, L’Oréal, de quoi alimenter les soupçons de conflit d'intérêt.

Il détient la société « Éole conseil », essentiellement alimentée par des royalties touchées sur la vente des produits Ushuaïa (shampoings, gels douches et autres lunettes) : salaire annuel 290000€ en 2013 complété par 66000 € de dividende puisqu'il possède 99,9% des parts.

Un profil qui n'a pas échappé à Macron, lequel a prié Hulot de vite abandonner la direction de sa société. Hulot, une prise de guerre stratégique du gouvernement Philippe pour servir de marionnette au profit du lobby nucléaire.

 

A l'actif de ce tandem infernal, et à titre d'exemple, Nicolas Hulot, a évoqué la possibilité de fermer "peut-être jusqu'à 17 réacteurs", ne faisant que reprendre l'objectif de réduire de 75 à 50% la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici à 2025, engagement pris par le gouvernement précédent ,et qu' Emmanuel Macron s'est engagé à respecter.

Le lendemain, le 12 juillet, dans une interview au journal Les échos, Édouard Philippe a précisé la portée des propos de son ministre de la Transition écologique, « Le gouvernement attendra que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rende son avis sur la prolongation des réacteurs du parc français fin 2018 ou début 2019 pour se prononcer sur la fermeture de certains d'entre eux »

On peut croire, ou pas, à la fermeture de quelques réacteurs, ceux de 900MW, les moins productifs en énergie du parc, ceci d'autant que pour la première fois la consommation électrique a baissé en 2016 en France, du fait de la diminution globale du secteur industriel, des délocalisations et des équipements plus économes (efficacité énergétique). Mais même si la fermeture de ces réacteurs était effective, cette politique justifierait la prolongation des autres réacteurs, et la mise en service de nouveaux équipements, et maintiendrait entièrement la logique du « système nucléaire », l'objectif final étant de rendre le nucléaire « acceptable » et de maintenir la filière.

 

En effet, ce gouvernement va avoir dans les prochains mois trois décisions importantes à prendre sur :

  • la prolongation des centrales, « le grand carénage »

  • l'autorisation de mise en service de l'EPR de Flamanville

  • le décret d'autorisation de construction de CIGEO, centre d'enfouissement des déchets à Bure

 

 

Première décision du gouvernement : la prolongation des centrales, « le grand carénage »

 

Les centrales nucléaires ont été prévues pour fonctionner 30 ans, conçues techniquement,à la rigueur pour 40 ans. Or, dans les 10 prochaines années, 46 des 58 réacteurs électronucléaires français auront entre 40 et 50 ans (fin 2017, 46 réacteurs sur 58 auront dépassé 30 ans).

 

En bons capitalistes, les PDG d’EDF – Henri Proglio puis Jean-Marie Lévy (poulains de Sarkozy et de Hollande) -qui ne connaissent que le slogan « nos profits avant leurs vies »-, pour rentabiliser à fond les centrales, veulent prolonger leur durée de vie à 50, 60 ans, avec des examens tous les 10 ans.

EDF s'est donc lancé depuis 2014 dans un chantier titanesque, le « grand carénage »,

 

Car le vieillissement impacte les centrales : Il concerne le vieillissement des matériaux, y compris électroniques, l'obsolescence des logiciels qui commandent les process, mais également des composants censés être entretenus et qui ne le sont pas suffisamment.

 

- Les générateurs de vapeur sont l’un des maillons faibles du dispositif. Au fil du temps, certaines tuyauteries se colmatent, et des parties sont fragilisées par les vibrations. Ainsi, en 2015, EDF a détecté au bout de plusieurs mois un corps étranger à la base d’un générateur de vapeur du réacteur n°3 de la centrale de Cruas, qui a usé un tube à 75% ! La catastrophe était proche : une rupture aurait entraîné des rejets radioactifs.

- Au Tricastin en 2013, un joint d'origine, irremplaçable est devenu poreux avec le temps, a entraîné une contamination en tritium des eaux souterraines de la centrale.

- Encore plus problématique : le réacteur n°5 du Bugey, arrêté depuis l'été 2015 à cause d'un taux de fuite de l'enceinte de confinement en augmentation depuis plusieurs années. Cette enceinte est censée limiter les rejets radioactifs en cas d'accident majeur. Pour le moment, personne ne sait comment colmater la fuite, due à la corrosion du revêtement d'étanchéité interne de l'enceinte.

Ces quelques exemples montrent que le parc nucléaire actuel comporte donc des risques du fait de composants vieillissants qui ne peuvent être remplacés.

- C'est le cas des groupes électrogènes de secours dont le Journal de l'énergie révèle en mars 2016 qu'aucun n'est dans un état correct ( 44% en état dégradé et 13% en état inacceptable) d'après un bilan fait par EDF en 2014. C’est le non-démarrage de ces mêmes diesels de secours qui a conduit à la catastrophe de Fukushima.

 

Or, comment rénover, remplacer ?

D'abord, les enceintes de confinement et et les cuves des réacteurs, pièces maîtresses des centrales soumises à rude épreuve, sont impossibles à remplacer. L'âge d'un réacteur est l'âge de sa cuve.

Par ailleurs, certains endroits sont inaccessibles.

D'autre part, le programme même de rénovation comporte des risques. les interventions multiplient les risques d'accident. Certes à l'arrêt, il n'y a pas de risque d'accident nucléaire, mais le personnel en intervention est exposé aux accidents et aux rayonnements. Dans le cadre de ce grand carénage, en mars 2016, à Paluel, un générateur de vapeur manutentionné est tombé. Dans sa chute, cet élément 22 mètres de long et de 465 tonnes a endommagé la dalle de béton et la piscine de combustible du réacteur n°2. On ne sait pas si le réacteur 2 de Paluel, toujours à l'arrêt, redémarrera un jour.

 

Enfin, le grand carénage, c'est un gouffre financier (entre 55 milliards d’euros d’ici 2025 annoncés par EDF, mais100 milliards d’euros selon la Cour des comptes). Comment EDF va-t-il financer ?

Les travailleurs des centrales (agents EDF et sous-traitants) font les frais de cette politique du profit maximum qu’EDF tente d’imposer sous couvert de « sens du service public » : intensification du travail, suppressions de postes.

 

Ce rafistolage et cette prolongation du parc nucléaire  ne feront que renforcer les risques d'accident.

 

-Deuxième décision : L'autorisation de mise en service de l'EPRde Flamanville

 

Les dernières centrales nucléaires construites en France datent des années 90. La filière avance le prétexte qu'aucune industrie ne peut se permettre de laisser passer des dizaines d’années sans production, sinon elle risque de perdre tout son savoir-faire. La logique est donc de maintenir une filière industrielle, plutôt que de répondre à un besoin. EDF, passé maître dans la création de besoins en électricité (chauffage électrique, aujourd’hui voitures électriques), décide donc de lancer en 2004 le programme EPR, Réacteur Pressurisé Européen, ou réacteur de 3ème génération.

 

Un désastre industriel

Alors que les EPR, présentés comme l'avenir de la filière nucléaire, étaient censés placer EDF et AREVA en leaders mondiaux du nucléaire, il n'en est rien : les EPR concentrent les failles de l'industrie nucléaire dans un contexte de concurrence internationale capitaliste exacerbée : retards, coûts colossaux, risques en matière de sécurité.

L'EPR est la vitrine d'une course à la puissance, 1650 MW, c'est à dire une puissance thermique très élevée, intrinsèquement moins favorable à la sûreté. « Il s'agit d'un réacteur novateur mais trop complexe, passé trop vite d'une phase de conception à la réalisation, le projet industriel n'était pas suffisamment finalisé, c'est un réacteur d'ingénieur bien conçu sur le papier mais dont la construction se révèle plus compliquée que prévue »  indique Thierry Charles directeur de l'IRSN (Le Monde 28/07/2017).

Les malfaçons ne se comptent plus : mise en œuvre défectueuse du béton ou du ferraillage, soudures mal faites, ou « anomalies » dans le couvercle des cuves en acier, éléments-clefs des réacteurs et le retard dans la livraison augmente vertigineusement.

Comme tous les GPII, le coût de l’EPR a été largement sous-estimé puisqu’il est passé de 3,4 Milliards d'euros lors de la présentation du dossier par EDF en 2004 à 10,5 Milliards d'euros l’année dernière. Et ce n’est pas fini !

 

Les travailleurs, premières victimes

La logique de la sous-traitance en cascade a été poussée à l’extrême avec 80 % des travaux confiés à des entreprises qui ont elles-mêmes sous-traité. Selon les périodes, ce sont près de 460 ouvriers d’Europe de l’Est ou du Portugal qui travaillaient sur le site dans des conditions déplorables, jusqu’à 15 heures de travail par jour, des ouvriers sans couverture sociale (8 à 10 millions d'euros dissimulés à l'URSSAF), du travail dissimulé qui a mené plusieurs entreprises en correctionnelle. 112 accidents non déclarés sur un total de 377 en 2010. Deux accidents mortels ont endeuillé le chantier en 2011 (un intérimaire salarié par Tissot, sous-traitant de Bouygues, a fait une chute de 18 m et un salarié d’Endel est lui aussi décédé quelques mois plus tard d’une chute de 10 m).

 

Le scandale des pièces défectueuses usinées par Creusot forge.

La cuve est une pièce monumentale de 7 mètres de diamètre, 11 mètres de hauteur, 425 tonnes, forgée en 2006 à l'usine AREVA du Creusot. Les tests menés par AREVA ont révélé fin 2014 que l'acier n'était pas assez homogène et que les pièces montraient, à certains endroits, de fortes concentrations de carbone, ce qui dégrade la résilience (résistance aux chocs) du matériau.

D'après les révélations du canard enchaîné, AREVA connaissait le problème depuis 2005, détecté par l'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) et l'usine a continué sa production sans être inquiétée.

 

L’ASN autorité indépendante ?

Cet été, l'ASN a finalement décidé de donner un avis favorable à la cuve de l’EPR sous réserve d'un changement du couvercle d’ici à 2024, et a ouvert une consultation publique sur le projet d'avis relatif à l'anomalie de la composition de l'acier du couvercle et de la cuve du réacteur EPR jusqu'au 12 septembre.

L'ASN rendra son avis final en octobre 2017 mais le projet d'avis précise d'ores et déjà que « les défauts dans la composition de l'acier de la cuve ne sont pas de nature à remettre en question la mise en service de celle-ci ». L'ASN envisage seulement des contrôles pour détecter certains défauts sur le fond de la cuve.

L’ASN, autorité dite indépendante, ouvre donc la voie au gouvernement Macron pour signer le décret d’autorisation de mise en service de l’EPR. Car les enjeux sont considérables pour AREVA et EDF : l'EPR de Flamanville, celui d'Hinkley Point en Angleterre, les EPR chinois, sans compter aggravation du contentieux industriel d’AREVA pour l’EPR finlandais à cause du retard sur le chantier d'Olkiluoto...

 

Et là, on peut compter sur Édouard Philippe pour défendre l'industrie nucléaire française !

 

 

Troisième décision : le décret d'autorisation de construction de CIGEO, centre d'enfouissement des déchets à Bure

 

PARTIE 2 - DEMANTELEMENT DES INSTALLATIONS - DECHETS RADIOACTIFS

 

INTRODUCTION :

Pour éliminer le risque lié aux réactions nucléaires, on peut imaginer arrêter les réacteurs en 10 ans, mais deux problèmes vont subsister bien au-delà de cette période :

  • La gestion des installations nucléaires, après leur arrêt définitif, avec ce qu’on appelle le démantèlement (horizon 22ème siècle …)

  • le risque lié aux déchets radioactifs produits, qui dans l’état actuel des connaissances, va continuer à sévir pendant 100 000 ans et plus.

 

  1. Démantèlement des installations nucléaires

Dans le monde, sur 110 réacteurs arrêtés (300 d’ici 2030), seuls 6 ont été démantelés complètement (aux USA)

En France, 146 installations nucléaires (127 INB et 19 INBS) sont concernées :

  • 9 réacteurs à l'arrêt définitif (à Marcoule, Bugey, Chinon, St Laurent, ChoozA …), Brennilis (eau lourde), Superphénix (réacteur au sodium), qui sont en cours de démantèlement

  • à terme 137 autres installations : les 58 réacteurs à eau pressurisée (REP) d’EDF en fonctionnement + EPR, les usines nucléaires AREVA comme Georges Besse 1 à Tricastin, FBFC à Romans sur Isère, les installations civiles et militaires du CEA ainsi que d’autres installations du cycle, comme l’usine Melox à Marcoule ou l’usine de retraitement de La Hague...

3 étapes :

  • retrait des matières nucléaires les plus dangereuses (combustible … = 90% de la radioactivité)

  • démantèlement (démolition GC, démontage équipements électromécaniques, « tripaille » …)

  • assainissement (activation, contamination)

2 stratégies : démantèlement immédiat après arrêt ou démantèlement différé. Les choix ne sont pas débattus et les décisions prises dans l’opacité la plus totale (même l’ASN s’en plaint). Par exemple, EDF a changé son fusil d’épaule : a retenu le démantèlement différé puis a décidé au contraire le démantèlement immédiat. Enfumage (cf. ci-dessous)

 

1.1 Etat des lieux (France):

Le démantèlement de Brennilis, fermé en 1985, est interminable : confié pour partie à une entreprise privée (Onet Technologies), EDF estime aujourd’hui qu’il ne pourra être achevé qu’en 2032. Soit 47 ans après sa mise en arrêt ! Entre-temps, la facture a été multipliée par 20 (482 millions d’euros selon la Cour des comptes en 2005). Et à ce jour, même les parlementaires n’ont pu obtenir une estimation des sommes réellement déboursées. Quant au démantèlement complet des six réacteurs UNGG (filière uranium naturel graphite gaz) à Bugey, St Laurent et Chinon, EDF vient de le repousser à l’an 2115 ; les difficultés techniques sont telles que toutes les entreprises consultées ont décliné les appels d’offre (démantèlement sous eau impossible, donc changement de stratégie EDF : à sec) ! Nombreux autres problèmes : 5500 tonnes de sodium de Superphénix (mélangé à de la soude pour couler du béton car inflammable spontanément à l’air) + pas d’exutoire pour les déchets TFA-VL de la filière UNGG (23000 tonnes de graphite) …

 

    1. STRATEGIE : UN DEBAT INEXISTANT

EDF et l’Etat Français misent sur l’allongement de la durée de vie des centrales de 40 à 60 ans (cf. partie 1). Cette stratégie permet de retarder le démantèlement (« dépenses à fonds perdus »). Selon Barbara Romagnan, rapporteuse PS de la Mission d’information parlementaire relative à la faisabilité technique et financière du démantèlement « le coût du démantèlement du parc nucléaire français serait sous-estimé et, malgré quinze ans d’études, la faisabilité technique ne serait pas assurée. » Dans ce rapport sorti en février 2017, les parlementaires constatent que la filière nucléaire n’a pas anticipé le démantèlement de ses installations et qu’implicitement elle s’appuie sur des hypothèses qui lui sont favorables comme la poursuite du programme électronucléaire.

 

Mais ce rapport élude la question de fond : faut-il démanteler les sites nucléaires ?

Le démantèlement crée une masse considérable de déchets radioactifs, transportés sur toutes les routes et voies ferrées de France avec tous les risques que ça comporte (déraillement d’un waggon de déchets en gare du Drancy en 2013). Ils s’ajouteraient de plus aux déchets existants (volumes énormes, on va en parler). Tout ça à l’insu des communes traversées par les convois et des populations exposées (le transport des matières nucléaires est militarisé et classé « secret-défense »). Pour le NPA, l’arrêt nécessaire de toutes les installations nucléaires ne peut se faire en toute sécurité qu’à la condition de tout conserver sur le site lui-même, en interdisant tout transport et toute dispersion des déchets radioactifs. Une fois un site vidé de son combustible, on le condamne, on le sécurise et on le garde sous surveillance, le temps de débattre pour décider des solutions les moins nocives tout en bénéficiant de la décroissance naturelle de la radioactivité. Les terrains où sont implantés des réacteurs sont de toute manière perdus à tout jamais.

 

Le démantèlement devient un marché attirant pour le capitalisme nucléaire. Les industriels - Onet Technologies, mais aussi AREVA ou encore Véolia associé au CEA - voient là un nouveau marché juteux de ponction des fonds publics. AREVA vient de créer une nouvelle structure NAH (New AREVA Holding), qui regroupera une branche avec toutes les entités AREVA spécialistes du démantèlement. Branche prête à être coupée pour filialiser, externaliser et précariser les travailleur(euse)s pour ces activités à haut risque radiologique (but : assurer le maximum de rentabilité)

De plus, les matériaux issus du démantèlement seront recyclés dans le circuit économique : fabrication de remblais routiers (sites nucléaires mais pas que), utilisation des métaux contaminés pour … construire de nouvelles installations nucléaires, des conteneurs de déchets etc … Pour sa part, EDF envisage de réutiliser Creyss Malville après assainissement pour y installer un réacteur de 4ème génération (à neutrons rapides). La boucle est bouclée.

 

  1. LES DECHETS RADIOACTIFS

 

2.1 ETAT DES LIEUX (France) :

D’où viennent les déchets ?

Industrie électronucléaire (combustibles irradiés et déchets technologiques)

Recherche

Défense

Médecine nucléaire / autres

Résidus miniers (gros volumes de « stériles » dans le Limousin)

Démantèlement des installations (200 INB/INBS en France)

 

Volume des déchets (ANDRA) : 1 320 000 m3 en 2010, 1 900 000 en 2020, 2 700 00 en 2030 (dont 1 100 000 liés au démantèlement) ; le démantèlement complet produirait 2 200 000 m3 (Chiffres a priori sous-évalués) + déchets cachés ou immergés en mer dans des conteneurs en béton dans les années 1950/60 … : « stockages historiques »

Enjeux : volumes en constante augmentation, non biodégradables, dangereux sur des périodes géologiques, continuent à chauffer

La loi Bataille distingue : les déchets radioactifs ultimes, les matières radioactives « valorisables » (combustibles irradiés/MOX) et les effluents liquides ou gazeux (tritium), gérés par autorisations.

La gestion se fait à travers le PNGMDR (Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs) ; les déchets appartiennent à l’exploitant (entreposage), qui les confie à l’ANDRA (stockage).

Classement des déchets (en fonction de la radioactivité et de la durée de la radioactivité) :

HA (<1% des volumes, très dangereux) : CIGEO (Bure, Meuse)

MAVL (4% des volumes) : CIGEO (Bure, Meuse)

FAVL (7% des volumes) : à définir (stockage jusqu’à 200 m de profondeur envisagé)

FA et MA à vie courte (70% des volumes) : CSA (Soulaines, Aube) et CSM (La Hague, Manche)

TFA (le reste) : le stockage à Morvilliers (Aube) arrivant à saturation, il est envisagé de les stocker dans les 16 ISDD (installations de stockage des déchets dangereux) existantes, réhausse du « seuil de libération » pour recycler les déchets en matériaux banalisés (métaux, béton concassé pour remblais …)

 

La loi Bataille envisageait 3 voies possibles pour traiter le problème des déchets HA et MAVL : transmutation, entreposage longue durée (plutôt en surface) et le stockage géologique profond, choix retenu (CIGEO).

À Bure avec CIGEO mais aussi à Bugey avec ICEDA (Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés d’EDF), et tout près d’ici à Malvesi (Narbonne) contre l’incinérateur THOR d’AREVA des luttes s’organisent.

 

2.2 CIGEO (Bure) :

Enfouir à 500 m sous terre un cimetière des déchets radioactifs les plus dangereux. C’est un choix politique imposé, guidé entre autres par les multinationales du BTP, qui se moquent de l’environnement et de la santé des populations. D’où l’enfumage et le passage en force du gouvernement. D’abord présenté comme un labo, la fiabilité et la maîtrise de la phase industrielle n’a jamais été prouvée techniquement par l’ANDRA (les essais sur des démonstrateurs demandés par l’ASN n’ont pas encore été mis en œuvre de façon probante). Le gouvernement a d’abord essayé de faire graver dans le marbre le projet CIGEO dans la loi Macron en 2015, mais a été retoqué par le Conseil Constitutionnel. Il a cependant réussi à contourner le problème en faisant adopter le 11/07/2016 la loi définissant les modalités de création de CIGEO (Christophe Bouillon, député PS, nommé président du CA de l’ANDRA = rapporteur du projet de loi). Le DG de l’ANDRA a rencontré Nicolas Hulot en juillet car le décret d’autorisation de construction est prévu pour mi-2019.

 

Résultat : pas de véritable débat public ; principe de « réversibilité » inscrit dans la loi (donner la possibilité aux générations futures de changer d’orientation et de solutions techniques, ce qui implique la « récupérabilité » des déchets) est bidon et uniquement destiné à faire avaler le projet sans retour arrière vraiment possible : 80 000 m3 de déchets (HA et MA-VL = 5% du volume total des déchets), construction à partir de 2022, mise en service vers 2030/2035, exploitation jusqu’en 2150, et enfin scellement définitif dans un terrain « étanche » d’argilite, à 500 m de profondeur.

Rente de situation pour les groupes constructeurs du BTP notamment (Bouygues, Vinci, Eiffage …): 300 km de galeries, des travaux souterrains, avec « co-activité travaux/exploitation ». Coût : 35 milliards d’euros sur 100 ans (les coûts réels vont exploser, mais c’est anecdotique par rapport au risque santé et environnement, qui est le principal problème).

Les combustibles nucléaires usés (remplacés tous les 18 mois environ) restent 5 ans environ dans des piscines de désactivation des centrales pour les refroidir avant de pouvoir être transportés par route ou par rail, puis entreposés à La Hague dans des piscines pendant 10 ans environ avant de pouvoir séparer les déchets et récupérer les matières nucléaires « valorisables » (Uranium, plutonium). Les déchets HA (PF) sont vitrifiés et mis dans des conteneurs en inox, puis refroidis à l’air pendant 50 ans en convection naturelle dans des entreposages à sec spécifiques. Cigéo accueillera dans 2 zones distinctes les déchets HA et MAVL = tunnels + alvéoles + puits de liaison surface-fond + descenderie de 7 km de long jusqu’à 500 m de profondeur (+ installations de surface pour conditionner les colis) : emprise des galeries et alvéoles = 3,3 km x 3,7 km. 70 ans environ avant de pouvoir stocker.

 

Problèmes : chaleur et radioactivité à dissiper pendant des millénaires (la température de l’argilite doit rester inférieure à 80°C), étanchéité du massif (scellements ?). Risques liés à la co-activité travaux/exploitation pendant des décennies (sectorisation incendie, ventilation) : explosion, incendie, vieillissement des matériaux ….à l’ECHELLE DE TEMPS GEOLOGIQUE et non à l’échelle historique : problèmes auxquels l’humanité n’avait jamais été confrontée jusqu’ici. Irresponsabilité historique du capitalisme car on ne peut rien garantir sur ces durées (exemple 20ème siécle = 2 guerres mondiales, retour d’expérience sur les matériaux métalliques < 5000 ans etc …).

  • Mises en gardes de l’IRSN (inondation, explosion, incendie des fûts bitumés …) : rapport

  • précédents incendie : tunnel du Mont Blanc (1999, 53 heure, 39 morts), tunnel sous la Manche (4 incendies entre 1996 et 2015), WIPP (Nouveau Mexique, stockage ouvert en 1999, incendie en 2014 + explosion fût en 2015)

  • précédents inondation : stockage de 126 000 fûts radioactifs dans la mine de sel de Asse, en Allemagne (Basse-Saxe) : entrées d’eau et fuites de saumure radioactive (la catastrophe n’est plus qu’une question de temps)

  • précédents instabilité de la roche : effondrement continu des galeries de Asse (prévue pour être stables pendant des millions d’années) ; CIGEO effondrement le 26 janvier 2016 par éboulement du front de taille d’une galerie) : 1 mort

Les promoteurs de CIGEO réfléchissent comment préserver la mémoire du site (construction d’une pyramide sur le site avec pictogrammes identifiables par les civilisations futures pour les informer de la présence des déchets et les avertir du risque …)

 

 

  1. CONCLUSION DEMANTELEMENT - DECHETS

Comme pour le pétrole, d’ici une cinquantaine d’année, il n’y aura plus de combustible nucléaire. Et pourtant, dans sa course folle au profit, le capitalisme nous lègue des problèmes sanitaire et environnementaux dont devra se dépatouiller l’humanité tout entière pendant des générations. Il s’agit donc bien d’une dette radiologique. Cette ardoise laissée par le capitalisme est un enjeu de société majeur pour les générations à venir et pour l’avenir de l’humanité en général. Qui pose entre autres la question du pouvoir et de la démocratie, ce qui est en phase avec le combat du NPA. Dans ce sens, on privilégie la logique :

1) La façon la plus sûre de ne plus produire de déchets, c’est l’arrêt du nucléaire

2) La façon la plus logique et la plus sûre de maîtriser les déchets c’est de préserver l’avenir en privilégiant l’entreposage longue durée en surface pour bénéficier à terme des avancées scientifiques débouchant sur des solutions techniques fiables.

 

C’est l’inverse de ce qui est en œuvre aujourd’hui, où le passage en force est la pratique habituelle dans le nucléaire, entre autres sur les déchets : « On connait l’empire des médias et des réseaux sociaux ; tout cela a de grandes chances d’être déformé, au risque final qu’on ne puisse rien faire : toutes les démagogies sont possibles derrière de tels sujets » (Christian Bataille, membre du BN du PS, inspirateur de la loi sur les déchets nucléaires, porte-plume des exploitants nucléaires).

Cette vision n’est pas simplement celle d’un politicien ou d’un technocrate déconnecté de la réalité, ce dont on a l’habitude ; c’est au contraire la ligne de conduite assumée d’un pouvoir politique entièrement au service de l’industrie nucléaire. Ceci avec tous les moyens à disposition de l’appareil d’Etat, notamment la police et l’armée. On l’a vu il y a 40 ans à Plogoff et Creyss Malville pour imposer le nucléaire civil, et on l’a vu encore il y a 10 jours à Bure. Car on rentre maintenant dans une nouvelle phase stratégique pour l’industrie nucléaire, civile et militaire.

 

En 2015, le gouvernement a voulu introduire CIGEO dans la loi Macron, intitulée « loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ». Aucun rapport entre la croissance-activité économique et les déchets ? Si, justement. Car le stockage des déchets avec le démantèlement des installations représentent deux gisements de profits pour les groupes capitalistes qui font leur beurre dans le nucléaire. Par ailleurs, l’extraction des déchets est une activité lucrative à l’export (AREVA a traité à La Hague les combustibles usés du Japon, d’Allemagne, Belgique, Suisse, Pays Bas, Canada, Espagne, Italie etc …).

Enjeu économique donc. mais aussi stratégique car les filières de déchets sont l’exutoire (= le goulot d’étranglement) de tout le cycle nucléaire civil et militaire. C’est ce qu’il faut bien avoir en tête pour comprendre politiquement que le gouvernement Macron ne fera aucun cadeau et adapter les méthodes de lutte en conséquence.

 

 

ELEMENTS DE CONCLUSION PROVISOIRE DE CET ATELIER

 

Le capitalisme nous laisse une dette écologique avec des problèmes énormes à résoudre. Les décisions imposées, dangereuses et irréalistes, sont guidées uniquement par le profit. Ce n’est pas un problème de travailleurs incompétents (les travailleurs du nucléaire sont les premiers conscients des risques) comme l’assènent la plupart des écolos, mais de décisions politiques au bénéfice des multinationales (idem ITER, Sivens, NDDL …). Une preuve de plus qu’on ne peut garantir l’avenir de l’humanité sans sortir du capitalisme.

 

Les solutions réalistes à ce stade :

  1. Arrêter le nucléaire le plus vite possible pour éviter une nouvelle catastrophe nucléaire et pour arrêter de produire des déchets (LIRE ET DIFFUSER LA BROCHURE DU NPA SUR L’ARRET DU NUCLEAIRE EN 10 ANS)

  2. Définir des solutions et prendre des décisions dans la démocratie la plus large (débat public associant les habitants, les travailleurs du nucléaire, de la radioprotection, les scientifiques …), ce qui implique l’expropriation des capitalistes et la mise en place de structures politiques et économiques qui permettent l’exercice du pouvoir par la majorité et non par une minorité (même « scientifiquement/techniquement éclairée »)

  3. Dans la gestion des déchets produits, préserver la santé et l’environnement pour aujourd’hui et les générations futures par une réelle réversibilité (entreposage en surface plutôt qu’un stockage « définitif », en espérant que des solutions techniques viables voient le jour dans l’avenir).

 

Commission Nationale Écologie