Publié le Dimanche 22 mars 2015 à 07h59.

La Russie : un colosse aux pieds d’argile

Le rétablissement du capitalisme a produit un effondrement de l’économie russe dans les années 1990, le PIB chutant de plus de 40 %. Les conséquences sociales ont été catastrophiques. Les fermetures d’entreprises non adaptées à la concurrence capitaliste mondiale se sont multipliées. L’économie a été pillée par les oligarques. Depuis, la situation de la Russie s’est redressée… avant que de nouveaux problèmes ne surgissent.

Après la crise de 1998 et l’accession au pouvoir de Poutine, l’émergence d’un « capitalisme d’Etat » a mis fin à l’ultralibéralisme et au pillage généralisé de l’économie. Poutine a accru l’intervention de l’Etat dans l’économie : une intervention directe dans la possession du capital et un contrôle plus étroit des activités des oligarques. Disposant d’un secteur de haute technologie et d’une main d’œuvre qualifiée, il s’est inspiré du modèle chinois pour faire repartir l’accumulation du capital. La Russie est redevenue une puissance régionale qui s’assume comme telle et cherche à renforcer son emprise sur sa périphérie. L’Union économique eurasienne, qui a vu le jour officiellement en 2014, en est la manifestation la plus éclatante. Poutine est bien décidé à défendre son pré-carré et à s’opposer aux visées expansionnistes de l’impérialisme occidental.

Grâce à une conjoncture favorable pour les prix de l’énergie dans les années 2000, les excédents commerciaux ont permis l’accumulation de réserves de change destinées à faire face à d’éventuelles attaques spéculatives. La croissance est alors fortement repartie, les surplus de la rente pétrolière permettant de financer des dépenses sociales (santé, éducation) et des investissements dans le secteur industriel. La lutte contre l’inflation a conduit à maintenir des taux d’intérêt élevés, ce qui a incité les grandes entreprises et les banques à s’endetter sur les marchés internationaux (en dollars). Mais avec la crise financière de 2008, le rouble s’est déprécié et le problème de l’endettement a éclaté au grand jour. L’Etat est alors intervenu pour sauver les mastodontes.

Une économie fragile et déséquilibrée

Depuis le milieu de l’année 2014, la Russie est frappée de plein fouet par la chute du prix du pétrole et par les sanctions occidentales. Les revenus du pétrole et du gaz représentent environ la moitié des recettes du budget de l’Etat. Le prix du baril est passé de 100 dollars en juin 2014 à 50 dollars aujourd’hui. Les fuites de capitaux se sont amplifiées, sans que le gouvernement établisse un contrôle des changes. Poutine utilise les réserves de change accumulées pour vendre des dollars et acheter du rouble, mais cela n’a pas empêché la dépréciation du rouble. Il cherche aussi à faire revenir les capitaux en promettant l’impunité aux oligarques. Mais Poutine a dû se résoudre à augmenter fortement les taux d’intérêt pour limiter l’inflation et l’effondrement du rouble qui fait flamber le prix des importations.

Cela va avoir un impact négatif sur la croissance, amplifié par les sanctions occidentales dans le domaine des coopérations industrielles ou des transactions financières. Par conséquent, les entreprises russes ont de plus en plus de difficultés à emprunter sur les marchés internationaux. La croissance a été à peine positive en 2014 (+ 0,6 %) et les autorités prévoient une baisse du PIB d’environ 3 % en 2015, une chute des investissements de 13 % et la poursuite de la fuite des capitaux. La crise actuelle montre que l’économie russe est fragile, foncièrement déséquilibrée et dépendante des cours mondiaux de l’énergie.

Pour compenser la chute de la rente pétrolière et financer son plan de soutien au secteur bancaire (13 milliards d’euros), Poutine va couper dans les dépenses sociales, car il n’est pas question pour lui de renoncer à l’inflation des dépenses militaires. Celles-ci représenteront 23 % du budget 2015 (contre 19 % en 2014). La montée des tensions avec les impérialismes occidentaux permet à Poutine d’entretenir un climat d’union sacrée lui permettant d’appeler chacun à se serrer la ceinture pour l’intérêt supérieur de la patrie. A une vieille dame qui se plaignait de ne plus avoir assez d’argent pour acheter du sucre, un député répondait récemment : « Si vous n’avez pas assez d’argent, vous devez vous souvenir que nous sommes russes, nous avons survécu à la faim et au froid, nous devons penser à notre santé et manger moins »…

Gaston Lefranc