Publié le Samedi 4 février 2012 à 12h14.

Le « mauvais genre » de Chatel

Depuis quelques mois, un certain nombre d’élus UMP-Droite populaire, des associations familiales catholiques et des dirigeants de l’enseignement privé confessionnel sont entrés en guerre contre les nouveaux programmes et manuels scolaires de sciences de la vie et de la terre (SVT), dénonçant le contenu et les manuels sur le thème « Masculin/Féminin » en classe de 1re traitant de la question du sexe biologique et de l’identité sexuelle, la « fameuse » théorie du genre. Cette polémique a été fortement médiatisée à la rentrée de septembre avec entre autres les provocations homophobes du député UMP Lionnel Lucas (qui laboure souvent les mêmes thèmes que le FN) : « Ce qui est grave, c’est que cette théorie, sous couvert de reconnaître différentes identités sexuelles, veut légitimer à terme la pédophilie, voire la zoophilie puisque ceux qui le revendiquent aux États-Unis défendent l’amour pour les jeunes enfants » ! À l’époque, plusieurs intellectuels, responsables syndicaux et politiques de gauche avaient dénoncé cette tentative d’imposer une « censure homophobe et sexiste ». Même si cette polémique a quitté (provisoirement ?) les devants de la scène médiatique, elle est symptomatique de la véritable offensive réactionnaire pour un nouvel ordre moral (et social) portée par les réseaux catholiques intégristes, qui militent aujourd’hui contre les nouveaux programmes de SVT ou des pièces de théâtre prétendues blasphématoires comme Golgotha picnic !

« Déviance »

Dès le début, le ministère de l’Éducation nationale, et Luc Chatel en particulier, ont fait preuve d’une grande passivité, voire de complaisance face aux « antigenre » intégristes. Au lieu de défendre la légitimité des programmes, face à un discours rétrograde et obscurantiste qui condamne l’homosexualité (qui ne serait pas « naturelle » contrairement à l’hétérosexualité !), Chatel a lancé une commission consultative sur les manuels scolaires. Loin d’avoir calmé les ardeurs des réseaux catholiques antigenre, fin novembre 2011, ceux-ci ont mené une action inédite : ils ont manifesté devant le congrès du centenaire de l’association des professeurs de SVT (par ailleurs très timorée à propos du débat sur le genre), s’inspirant des actions des commandos anti-IVG devant des hôpitaux. Un communiqué de presse précise « Les membres du Collectif parents-profs-responsables ont mené leur première action pour dénoncer les déviances de l’Éducation nationale. C’est par des masques blancs et flanqués du “Nouveau petit manuel de biologie”, que le collectif a voulu montrer comment finiront les futurs “produits” de l’Éducation nationale, c’est-à-dire nos enfants ». Sur la toile, ces réseaux sont très actifs, multiplient les pétitions, rassemblant des gens venant de divers horizons de droite (UMP avec la Droite populaire, mais aussi FN et intégristes avec les réseaux anti-IVG de la fondation Lejeune…). Leur démarche idéologique et politique les rapproche du Tea Party américain : un mélange d’idées religieuses, obscurantistes (contre l’évolution des espèces, contre l’homosexualité, l’IVG) articulé avec un discours économique ultralibéral, antisyndical, le tout combiné avec le nationalisme et le racisme.

Recul

Officiellement, le ministère ne cède pas à la censure des extrémistes. Pourtant, dans un rectorat, une lettre d’information sur « l’éducation à la sexualité » traitant du nouveau programme à destination des enseignants de SVT n’a pas été diffusée, sans motif, par le recteur. Les réseaux cathos continuent de faire pression pour que le thème masculin/féminin ne soit pas évalué au bac (car il présente la pilule du lendemain, qui serait une atteinte au « droit à la vie »). Ces mêmes réseaux avaient lancé une campagne similaire, il y a quelques années, pour tenter de faire annuler une épreuve du bac ES qui traitait de l’IVG (officiellement au programme). À l’époque, ils avaient connu moins de succès médiatique et politique. Officiellement, il n’y a pas de consignes, pourtant dans des établissements catholiques sous contrat (qui doivent respecter les programmes officiels, et en contre-partie reçoivent 7 milliards d’euros par an de l’État), des directions ont fait pression sur les enseignants de SVT pour qu’ils choisissent le « bon » manuel. La liberté pédagogique des enseignants est bafouée. C’est une porte ouverte à d’autres remises en cause dans le futur. Les directions catholiques pourraient choisir dans les programmes et éliminer ce qui est contraire à la religion et, au nom de l’autonomie des établissements, demander aux enseignants de ne plus enseigner ces thèmes-là. On en arriverait à une situation comme aux USA où dans plusieurs États, les professeurs de biologie sont obligé d’enseigner la « théorie de la création », au même niveau que Darwin et la théorie de l’évolution.

Mobilisation

Dans le contexte politique actuel, une partie de l’UMP (en particulier la Droite populaire) soutient ces réseaux et en profite pour propager ses idées homophobes et sexistes. L’objectif à peine voilé est de tenter de récupérer pour la présidentielle des voix du côté du FN et des franges les plus droitières de l’électorat. Il est donc plus que jamais nécessaire de s’opposer à cette volonté de censurer les programmes d’éducation sur la sexualité, la non-discrimination, la lutte contre l’homophobie et tous les préjugés. Il faudrait au contraire plus de moyens pour développer le travail d’information sur la contraception, des possibilités réelles de distribuer largement et gratuitement des moyens de ccontraception et de protection aux lycéennes et lycéens. Le pass contraception mis en œuvre actuellement par le ministère (qui l’avait interdit lorsque Ségolène Royal l’avait lancé dans sa région !) est positif mais largement insuffisant, en particulier du fait du manque d’infirmières dans les établissements. L’institut Émilie du Chatelet (qui rassemble des universitaires de secteurs très variés travaillant sur le genre), avec la biologiste Catherine Vidal, le sociologue Éric Fassin ont lancé une pétition qui a rencontré un certain succès. Les syndicats, des organisations féministes ont pris position. Il faudrait que la mobilisation s’élargisse à l’ensemble de la gauche, touche réellement les enseignants et les lycéens. Il faut une prise de conscience qu’une partie de la droite est porteuse d’un nouvel ordre moral réactionnaire. Pour le bac 2012, verra-t-on des sujets sur le genre, la sexualité, la contraception ? Faisons en sorte, tous ensemble, de ne pas laisser aux plus rétrogrades décider ce qui doit être enseigné !o Qu’est ce que les « gender studies » ?

80 députés crient au scandale car « le genre » est introduit dans les programmes de SVT de 1reES/L, ainsi que la notion d’homoparentalité dans le programme de droit en terminale L. De quoi s’agit-il ? Le « genre » serait-il dangereux ?

Les études de genre naissent dans les années 1980 et le début des années 1990 de l’évolution des études féministes, avec en particulier les travaux de Judith Butler (Troubles dans le genre, publié en 1990, traduit en français seulement en 2005). Cette approche souhaite questionner le rapport entre les sexes au sein de la société sans se focaliser spécifiquement sur les femmes. Ces études vont effectuer une distinction entre le sexe et le genre pour s’interroger sur la construction des rôles sociaux attribués « naturellement ». Elles vont aussi permettre de questionner le rôle du sexe lié à des paramètres biologiques et naturels et celui du genre lié à une construction sociale. Le rapport entre le sexe et le genre est une représentation du sexe sur le corps dépendant des représentations culturelles de la société. Les études de genre permettent de déconstruire les catégories de représentations du féminin et du masculin en les situant dans le temps et l’espace par rapport aux relations de pouvoir. Loin de nier les différences biologiques, les études de genre mettent en évidence que le sexe biologique et l’identité sexuelle, le genre, sont indissociables des rapports sociaux, économiques et idéologiques.

En cela elles reformulent, réactualisent ce qu’en 1949 Simone de Beauvoir affirmait : « on ne naît pas femme, on le devient ».

Antoine Boulangé, enseignant en SVT

Que dit le programme de SVT ?

Alors que la frange réactionnaire et rétrograde tente de « diaboliser » les programmes, ceux-ci sont pourtant restés très mesurés. Dans le cadre du thème masculin/féminin, il est écrit :

« Ce sera également l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orien­tation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée… Différencier, à partir de la confrontation de données biologiques et de représentations sociales ce qui relève :

- de l’identité sexuelle, des rôles en tant qu’individus sexués et de leurs stéréotypes dans la société, qui relèvent de l’espace social ;

- de l’orientation sexuelle qui relève de l’intimité des personnes. »

Pour une fois qu’un programme scolaire allait plutôt dans le bon sens, en termes de tolérance et d’ouverture… Certains catholiques n’ont pas supporté les photos de couples homosexuels dans les manuels, des informations et des contacts pour lutter contre l’homophobie ou des exercices sur « Un troisième genre reconnu en Inde ». Pourtant, tout ceci existait déjà dans les programmes depuis 2005 puisque que les enseignants sont censés faire deux séances annuelles d’éducation à la sexualité, qu’il est clairement énoncé que les enseignants doivent éduquer contre les préjugés et les discriminations. Mais faute de moyens, ceci est peu mis en œuvre. o