Publié le Dimanche 19 mai 2024 à 15h00.

« C’est le mépris de notre employeur qui me fait tenir »

Bridgette est salariée d’Onela, société d’aide à domicile appartenant au groupe multinational Colisée. Elle est en grève depuis le 1er février 2024 avec d’autres salariéEs de la cellule d’astreinte sans laquelle l’entreprise ne pourrait pas fonctionner. Nous l’avons rencontrée.

Sur quoi porte la grève ? Quelles sont vos revendications ?

La cellule d’astreinte est chargée de prendre le relais des agences d’Onela quand elles sont fermées les soirs, week-ends et jours fériés. On pallie tous les problèmes rencontrés sur le terrain par les aides à domicile (changements de plannings, violences, besoin matériel ou vital…). Il faut trouver une solution. Nous sommes très investiEs dans ce métier. Il est arrivé que des salariéEs de la cellule d’astreinte se déplacent au domicile afin d’intervenir pour nourrir des personnes dépendantes, parce qu’on ne trouvait pas d’auxiliaire de vie. On le paie de notre poche. On est parfois décisionnaire, on doit dire à une auxiliaire si elle doit partir en cas de violence.

La direction veut nous appeler « relais réseau » mais on veut garder le nom de « cellule d’astreinte », c’est notre boulot, nous ne sommes pas un centre d’appels, les collègues nous connaissent par ce nom-là. Au vu de la charge de travail, du nombre d’agences et le fait que l’on travaille pour trois sociétés distinctes appartenant au même groupe sans qu’on en ait été informéEs, on demande une augmentation à hauteur de ce qui a été versé au personnel appelé en renfort quand on était en sous-effectif, soit 20 euros brut de l’heure, la majoration des jours fériés et des dimanches, ainsi qu’une indemnisation pour le travail dissimulé. Nous demandons aussi la reconnaissance des diplômes de chacunE et la revalorisation de notre responsable adjointe qui touche 60 centimes de plus que le SMIC avec 12 ans d’ancienneté.

Enfin, nous exigeons du matériel et des locaux adaptés et propres. Il y a 3 postes pour 8 personnes. Il y a des fuites, des rats, on fait notre propre ménage. Nos ordinateurs sont obsolètes. Nous avons des chaises pliables pour des journées de 10 heures de travail, un de nos collègues a dû se faire opérer. L’employeur a répondu en nous mettant en télétravail par roulement sans indemnité pour l’électricité que nous payons.

Votre banderole dit « SalariéEs pas esclaves » ? Peux-tu expliquer pourquoi ?

Il y a deux explications. D’abord, on a accepté trop de choses qui sortent de l’ordinaire. C’est pour nous de l’esclavage moderne. Notre employeur en a beaucoup profité. Ensuite, notre astreinte est composée de personnes racisées. On n’a pas voulu jouer là-dessus au début. Mais le fait qu’on n’ait pas de responsables noirEs, et les propos de l’employeur qui nous a lu la définition du mot « esclave » lors d’une réunion et qui commence beaucoup de phrases en disant « je ne suis pas raciste », nous ont fait réagir.

Tu me disais que tu n’avais pas d’expérience de la lutte et qu’en 2024 ce n’était pas dans tes plans de participer à une grève, si longue en plus… Comment la nécessité de lutter, de s’organiser, d’utiliser ce moyen s’est-elle imposée ? En quoi ça change la vie ?

J’ai changé ma façon de voir les choses. Des collègues m’ont appelée pour dire « on fait grève » mais je ne savais pas ce que c’était. La direction pensait que je ne le ferai pas car je suis étudiante. Elle se disait que j’avais besoin de ce travail, et moi je ne me voyais pas rester à Onela jusqu’à la fin de mes études. Et puis j’ai vu le niveau de détermination des collègues, celui des jeunes venus nous soutenir, aujourd’hui je vois les jeunes lutter dans lycées de Seine-Saint-Denis… Ça a été le déclic. 

Aujourd’hui, c’est le mépris de notre employeur qui me fait tenir. C’est vexant. Il nous dit qu’il nous a compris mais ne propose que 13 centimes d’augmentation. Je pensais qu’il nous avait vuEs, mais pour lui c’est comme si nous n’existions pas.

Onela compte 3 500 salariéEs, essentiellement des aides à domicile isoléEs. Comment cherchez-vous à les contacter, à ­organiser la solidarité ?

Iels savent qu’on est en grève, nous contactent, nous aident financièrement même avec quelques euros. Mais iels sont effrayéEs. Nous avons subi des menaces, un collègue a été licencié. C’est difficile pour nous de dire de faire grève à des personnes qui ont peur. Mais nous prenons connaissance de témoignages portant sur des menaces, du harcèlement, du racisme… Des responsables d’agence sont accusés d’embaucher des sans-papiers ou des personnes fictives. Il y a des pressions pour obtenir des faux témoignages. Ces expressions de solidarité montrent qu’on a raison de tenir. On ne s’attendait pas à ça. Ce qu’on a vécu avant, les mauvais traitements, ça nous avait soudéEs. Maintenant on se sent indestructibles même s’il y a des hauts et des bas.

Quels vont être les enjeux des élections professionnelles qui doivent se tenir bientôt ?

On a vu deux syndicats inconnus dans l’entreprise se présenter lors de la négociation du protocole pré-électoral. La direction ne semblait pas surprise. Nous on a ramené la CNT en plus de la CGT, SUD, CFDT et CFTC déjà présentes. L’enjeu va être d’avoir un maximum de candidatures et de sièges pour ne pas avoir un CSE manipulé par la direction.

Le 29 avril dernier, vous êtes allés à Lille pour une action conjointe avec les grévistes d’Emmaüs, quel était son but ?

C’est important parce que leurs banderoles sont similaires aux nôtres. On a découvert ce point commun. On les rencontréEs à deux reprises et iels nous ont invitéEs. On les invitera sans doute quand ce sera possible. On a fait un piquet devant l’agence Onela à Lille, on va essayer le tour des agences. On veut montrer que les luttes peuvent se croiser, il doit y avoir des convergences. 

On veut montrer qu’on est en grève et qu’on soutient les autres luttes. On a aussi été présentEs auprès des mineurEs isoléEs du parc de Belleville.

Un mouvement de soutien s’organise, en quoi est-ce important pour vous et qu’en attendez-vous ?

C’est parti des personnes qu’on a rencontrées au cours de la lutte, qui sont venues à nos piquets. On attend qu’elles puissent apporter une expérience personnelle, qu’on puisse apprendre de leurs réussites et de leurs erreurs, et de toujours pouvoir garder cette force qu’on nous donne. Il y a le soutien, financier, matériel mais aussi humain.

Je trouve ça fou de me dire qu’on vit de la solidarité des gens, parce que quelqu’un a mis ne serait-ce qu’un euro dans la caisse. On a aussi des dons en nature d’associations. Si on peut manger ou se loger, c’est grâce à ça. Je trouve ça fort et touchant que ça se fasse aussi dans les luttes sociales. Je veux les remercier en notre nom à touTEs.

Propos recueillis par Julien Dumans