Publié le Vendredi 18 octobre 2024 à 18h00.

« Est-ce que zone industrielle bas carbone, ça doit forcément rimer avec suppression d’emplois et des outils de travail ?»

Les agents de la centrale électrique à charbon de Cordemais (Loire-Atlantique) se mobilisent contre la fermeture du site annoncée pour 2027 (1 000 emplois induits). Entretien avec Fabien Deschamps, délégué CGT de la centrale.

Peux-tu rappeler les raisons qui ont conduit au mouvement social, à ce dernier piquet de grève ? Pourquoi commencez-vous une lutte ?

Le lundi 16 septembre à 21 heures, on a eu un appel du PDG d’EDF pour nous faire part de son intention de stopper le projet Écocombust sur quelques arguments fallacieux de manque de rendement économique. Les discussions et négociations avec Paprec1 n’auraient pas abouti et pour respecter la parole du président Macron sur l’interdiction de fonctionner au charbon pour produire l’électricité en 2027, forcément on arrêtera les moyens de production de Cordemais, on redéploiera les agents et on fermera le site. 

Et peux-tu rappeler un peu comment était né le projet Écocombust parce que vous avez mené une lutte de longue date ? 

Ça remonte à plus de neuf ans. C’est neuf ans de lutte. L’histoire a commencé quand Ségolène Royal, en tant que présidente de la COP21, avait décidé de mettre en place une taxe carbone sur les centrales à charbon. Du côté de la CGT, on avait tout de suite compris, en faisant les calculs, que sur les valeurs annoncées de taxe carbone, ça allait tellement impacter le prix de notre mégawatt qu’on allait de moins en moins tourner, être de moins en moins rentables et que, à moyen voire très court terme, cela allait nous conduire à la fermeture. Donc rapidement, on a travaillé à verdir la production avec un autre projet industriel pour sauvegarder l’outil de ­travail et les emplois.

On parle de combien d’emplois ? 

Aujourd’hui, sur le site de Cordemais, les 340 agents EDF et 120 prestataires à l’année et avec toutes celles et ceux qui sont autour, cela représente 1 000 emplois directs et indirects.

Tu parles de verdir la production. En effet, avec le projet Ecocombust, des black pellets vont être utilisés. Il y a des critiques écologiques qui peuvent être formulées autour des black pellets. Peux-tu expliquer pourquoi ça te paraît quand même cohérent et important de ­développer ce type de projet ?

Avant de parler de black pellets, il faut revenir sur le réseau électrique français. Aujourd’hui, il est tendu. On a fermé en 12 ans 12 gigawatts de production pilotable. 12 gigawatts, c’est l’équivalent de 12 réacteurs nucléaires ! Aujourd’hui on n’a plus d’assurance. Au bout d’un moment, pour maintenir l’électricité sur le réseau, il faudra délester les gens, aller sur les coupures ou demander aux entreprises de s’effacer. Ça, on ne peut pas l’entendre. Il faut plus de moyens, plus de capacité de production et notamment pilotable [NDLR : pour pouvoir augmenter la production lorsque les énergies renouvelables n’arrivent pas à produire suffisamment]. Après, on a plusieurs possibilités. Aujourd’hui dans le pilotable, on le fait beaucoup avec du gaz. On a fermé les centrales de fioul. Il reste quelques centrales à charbon. Le black pellet, ce n’est pas idéal mais c’est transitoire. C’est quand même la possibilité de valoriser un déchet qui ne l’est pas. Le bois de pellet provient des déchets de bois d’ameublement qui aujourd’hui ne sont pas valorisés ou très très peu. Ils sont principalement enfouis en péninsule ibérique ou dans le nord de l’Italie, sans parler de l’empreinte carbone des camions qui les transportent. Nous, on avait créé le slogan : « Transformez vos vieux meubles Ikea en électricité » ! 

Aujourd’hui, Cordemais serait utilisé sur un outil de pointe ou d’extrême pointe, donc peu d’heures de fonctionnement, peu de consommation de pellets. Ce pellet, il ne peut être utilisé que dans l’industrie. On a entendu aussi cet argument : « il faut laisser les pellets pour les gens pour se chauffer », mais ce n’est pas le même pellet que celui qu’on vend aux gens. Aujourd’hui ce pellet ne pourrait pas être utilisé, il ne peut l’être que dans l’industrie. Effectivement, à terme, sa place est peut-être dans les sidérurgies, dans les hauts fourneaux ou dans le chauffage urbain, mais on ne peut pas se passer de moyen de production d’électricité pilotable. Pourquoi se refuser une décarbonation partielle ou totale de ce point de production qu’est Cordemais ? 

Un autre coup de massue social est tombé sur le bassin nazairien, à Montoir-de-Bretagne, avec 360 licenciements annoncés à General Electric dans la production d’éoliennes en mer, penses-tu qu’il y ait des liens dans ces attaques ?

Le lien, il n’est pas que sur le monde de l’énergie. Si on prend le bassin nazairien, en deux ans c’est près de 1000 emplois qui ont été supprimés ou sont menacés de l’être. Tu as évoqué EG, on parle de Cordemais on peut parler aussi du Campus de formation Enedis à Saint-Étienne-de-Montluc. On peut parler de la fermeture de Yara, la fermeture de Saipol, la fermeture de la laiterie à Campbon. Il y a Bobcat à Pontchâteau qui passe à une journée de chômage partiel par semaine. 

Il y a toujours des menaces sur la raffinerie, des menaces sur les Ports et Docks, des menaces sur STX. Il y a ArcelorMittal qui annonce aussi 15 % de baisse sur le territoire national mais aussi à Nantes. Le bassin industriel ne vit pas bien et effectivement il faut probablement avoir une convergence des luttes là-dessus. Mais il faut aussi se demander pourquoi, bizarrement, ça se détériore depuis qu’on est devenu ZIBAC, même si ça part d’une bonne volonté d’être devenu une zone industrielle bas carbone. Mais est-ce que zone industrielle bas carbone, ça doit forcément rimer avec suppression d’emplois et des outils de travail ?

Quelle est la stratégie de lutte et comment peut-on vous soutenir ?

Nous, on fait un tapage politique et médiatique. C’est d’ailleurs ce qui a déplu à la direction d’EDF qui s’est sentie obligée de communiquer dès le lendemain de nos tapages pour confirmer nos propos, alors que la veille encore elle disait au journaliste : « Non ce n’est pas vrai, on ne sait pas vraiment encore, on est en train de travailler ». Nous, on veut solliciter les ministères et surtout le président de la République puisqu’EDF s’est exprimée, les agents manifestent pour montrer leur désaccord. Il ne faut pas oublier que le seul et unique actionnaire d’EDF, c’est l’État, c’est le gouvernement. Donc nous, on voudrait aussi qu’Agnès Pannier-Runacher ait un petit peu de cohérence politique. Elle était déjà ministre en 2023 quand elle nous a nommée lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt pour la création de la filière traitement bois déchets. Le président de la République a dit le 24 septembre 2023, que nous ne fermerons pas les deux dernières centrales à charbon et nous transformerons la biomasse. On veut de la cohérence politique. On ne peut pas comprendre qu’un groupe détenu à 100 % par l’État ne respecte pas la parole présidentielle. 

Propos recueillis par Titouan, dans la manifestation du 1er octobre

  • 1. Paprec est le partenaire d’EDF devant installer l’usine de production de pellets de bois pour convertir la centrale à charbon à la biomasse.