Entretien. L’Anticapitaliste a rencontré à Paris José Luis, militant de la 4e Internationale, membre du syndicat mexicain des électriciens et du Mouvement socialiste du Pouvoir populaire du Mexique à l’occasion de sa venue pour le congrès de la 4e Internationale, avant qu’il ne parte en Espagne rencontrer les camarades d’Anticapitalistas.
Quelle est la situation au Mexique après l’arrivée au pouvoir de Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et plus récemment de Claudia Sheinbaum et après les attaques de Trump ?
L’Amérique latine a été le théâtre de fortes luttes contre les politiques néolibérales. Les luttes indépendantes qui ont été menées par les enseignantEs, les paysanNEs, les étudiantEs, les populations indigènes, etc. n’ont pas atteint leurs objectifs. Il y a même eu des défaites importantes. Cela a signifié que le mécontentement social et populaire à l’égard des politiques néolibérales a été au Mexique canalisé dans les élections. Le mécontentement a été canalisé d’abord à travers le Parti de la révolution démocratique (PRD) et plus récemment par le Mouvement de régénération nationale (MoReNa). Le premier était dirigé par Cuauhtémoc Cárdenas. Il est le fruit d’une rupture nationaliste au sein du parti au pouvoir. Les changements ont culminé au sein du parti, avec l’arrivée au pouvoir d’AMLO à la mairie de la ville de Mexico. Son mandat s’est caractérisé par un certain nombre de réformes progressistes telles que l’octroi d’une pension universelle pour les personnes de plus de 65 ans dans la ville de Mexico et d’autres politiques sociales.
Cela a conduit la droite à tenter de l’empêcher de devenir candidat à la présidence de la République en 2006 par le biais d’une manœuvre juridico-politique. Les gens ont vu l’attaque antidémocratique. Le pays s’est polarisé, des mobilisations de masse ont eu lieu pour permettre à López Obrador d’être candidat. Le processus électoral a suscité de nombreux doutes, à tel point que nous affirmons qu’il y a eu une fraude massive. Un homme politique de droite, Felipe Calderón Hinojosa est arrivé au pouvoir. Il s’en est suivi un processus de résistance face aux politiques néolibérales de Felipe Calderón Hinojosa, et de Peña Nieto. Le mécontentement était très fort : il y avait une forte corruption au sein du gouvernement mexicain qui était entièrement au service des intérêts des riches soumis aux États-Unis. C’est ce contexte qui explique la victoire d’AMLO avec plus de 50 % des voix.
En 2018 ?
Oui, en 2018. AMLO arrive avec un fort soutien populaire qui lui permet de réaliser des transformations très importantes, pour améliorer le niveau de vie des masses. L’une d’entre elles consiste à étendre au niveau national le droit à une pension universelle. Les personnes âgées de plus de 65 ans ont reçu un soutien de 160 dollars par mois, ce qui au Mexique permet de vivre plus ou moins bien. Les salaires minimums ont été augmentés de près de 100 %. Cela n’a pas permis le rattrapage complet des salaires mais la politique salariale a bénéficié à quelques millions de Mexicains.
Plus tard, la bourgeoisie mexicaine a également été contrainte, parce qu’elle était experte en matière d’évasion fiscale, de payer des impôts, ce qui a permis d’élargir l’assiette fiscale. Il a également mené une lutte acharnée contre la corruption qui rongeait l’État et qui n’a pas pris fin.
Penses-tu que ces réformes sont devenues anticapitalistes plus qu’antinéolibérales ou ont-elles eu des limites ?
Elles ont connu de nombreuses limites. Nous aurions préféré une renationalisation complète des entreprises publiques de l’énergie comme Pemex (Petróleos Mexicanos). Mais au moins les prix des carburants ont été stabilisés. Il faudrait procéder à une réforme fiscale en profondeur, ce qui est nécessaire car les riches mexicains paient très peu par rapport à leurs énormes profits. AMLO a aussi eu une gestion très « caudillo ». Le MoReNa, son parti, n’est qu’un appareil électoral où sont imposés, de manière non démocratique, des candidats en particulier de l’aile droite.
Comment expliquer que López Obrador avait à la fin de son mandat encore plus de 50 % de soutien et que sa candidate, Claudia Sheinbaum, a eu beaucoup de succès ?
Il y a bien eu une amélioration indéniable du niveau de vie des masses. Sinon, les masses n’auraient pas voté aussi massivement pour élire Claudia Sheinbaum. Elle a obtenu près de 60 % des voix.
Quand cela s’est-il produit ? En 2024 ?
Oui, Claudia Sheinbaum est présidente depuis octobre 2024 après sa victoire en juin. Il y a eu une forte bataille idéologique et culturelle. Au Mexique, les partis de droite sont pratiquement dans la pire phase de leur histoire. Ils sont très affaiblis, divisés et l’ultra-droite est une minorité insignifiante. Actuellement, même dans le processus de confrontation avec les menaces de Donald Trump d’imposer des tarifs douaniers, Claudia Sheinbaum, selon des sondages récents, a le soutien de 85 % de la population.
Les déclarations et menaces de Trump suscitent des réactions de la part du gouvernement et de Claudia Sheinbaum mais aussi de la part de la population...
Ce que nous voyons, c’est un problème mondial, qui ne concerne pas seulement le Mexique, même s’il fait partie du problème. Nous sommes confrontéEs à une puissance impérialiste en déclin qui tente de répercuter le coût de sa crise sur le reste du monde, par le biais de taxes, de droits de douane et autres, et de faire pression sur l’Europe pour qu’elle se réarme et partager les coûts de l’OTAN.
La crise est profonde : crise de la dette publique américaine, crise budgétaire. Les États-Unis perdent également, avec une détérioration technologique, dans la concurrence avec la Chine. Ils essaient donc de se repositionner. Donald Trump menace ses partenaires les plus proches, le Mexique et le Canada, d’imposer une augmentation du coût des importations aux États-Unis, sous prétexte que ces gouvernements ne font rien pour lutter contre la contrebande de drogue, en particulier le fentanyl, et le problème migratoire.
L’objectif est en fait de rechercher une renégociation, sur la manière de produire, en particulier dans le cadre de l’accord de libre-échange. Ils veulent récupérer de nombreux investissements faits au Mexique, et les emmener aux États-Unis, en particulier dans l’industrie automobile. C’est assez compliqué car il existe des chaînes de valeur en place depuis des décennies qui ne peuvent pas être modifiées du jour au lendemain.
Mais il y a une pression dans ce sens. Jusqu’à présent, le gouvernement de Claudia Sheinbaum a réagi avec fermeté en dénonçant les prétextes et l’hypocrisie pure et simple. Au fond, ce qui se passe, c’est du chantage, c’est le début d’une guerre commerciale contre le Canada et le Mexique, et si ce gouvernement insiste pour maintenir ces taxes, il y aura une réponse de sa part, pour appliquer des mesures similaires à d’autres produits, pour compenser ce que font les États-Unis.
Si la situation se tend, penses-tu qu’il y aura un grand soutien de la part des travailleurEs et du peuple mexicain ?
Oui, oui, parce que le peuple mexicain rejette très fortement ces attitudes agressives, grossières et autoritaires de la part du gouvernement américain et que cela a réveillé un ressentiment nationaliste… et progressiste.
Lorsqu’il y a une confrontation entre une nation forte et impérialiste et une nation faible, il est clair que nous sommes avec la nation faible, pour la confronter, surtout lorsque le dirigeant de cette nation agit non seulement de manière autoritaire et imposante, mais qu’il a aussi tout un programme politique d’extrême droite contre les migrantEs, un programme xénophobe, misogyne, contre la diversité des genres, belliciste, etc. En d’autres termes, nous sommes ici dans une lutte qui est à la fois anti-impérialiste, mais qui doit aussi être antifasciste, parce que Trump représente l’ultra-droite mondiale qui agit de manière de plus en plus ouvertement unie et coordonnée avec d’autres forces d’ultra-droite, à la fois en Europe et en Amérique latine. Nous devons donc être clairs sur le fait qu’il y a de nombreux enjeux au-delà de la question commerciale, qui est très importante.
Propos recueillis par Fabrice Thomas