Publié le Lundi 8 décembre 2014 à 12h44.

Élections législatives en Moldavie : pro-européens et pro-russes comptent leurs forces

Après les élections du 30 novembre dernier, la Moldavie semble plus divisée que jamais. Les partis pro-européens sont arrivés en tête d’une courte majorité, mais le mouvement comptant le plus de députés est le Parti socialiste, très proche du Kremlin. Dans ces conditions, difficile de constituer un gouvernement et de prendre des orientations stratégiques importantes.Par Danilo Elia, traduit par Béranger Dominici. Publié par le site Le Courrier des Balkans. Qui voudrait déchiffrer un message univoque dans les élections législatives moldaves du 30 novembre s’y perdrait. Ce scrutin devait être, selon la presse internationale, un referendum sur la politique d’ouverture à l’Ouest du gouvernement de Iurie Leancă. La réponse semble plus proche du « ni oui, ni non » que de l’acceptation ou du rejet clairement exprimés.Certes, la majorité des sièges (55 sur 101) a été remportée par les partis pro-européens, qui soutiennent l’actuel gouvernement. Mais le mouvement comptant le plus grand nombre de députés, avec près d’un quart des élus (25 sur 101), est le Parti socialiste, farouchement anti-européen.Voyons les choses en détail. Côté pro-européen : le Parti libéral-démocratique a obtenu 19,55% des voix ; le Parti démocratique 15,77% ; et le Parti libéral 9,46% - ce qui porte à 44,5% des voix le bloc pro-gouvernemental. Côté pro-russe et anti-européen, les partis totalisent près de 40% des voix – le Parti communiste réunissant 17,89% des suffrages, et le Parti socialiste 21,21%.Comme les sondages le prévoyaient, aucun parti n’a la majorité nécessaire pour former un gouvernement, celui-ci sera donc constitué par une coalition. Tous les regards se portent donc en direction du Parti libéral, qui avait quitté la coalition en 2013n entraînant la chute du gouvernement FilatLa tentation eurasiatiqueEn un mot, si les citoyens moldaves, dans leur majorité, ont soutenu les partis favorables au rapprochement de la Moldavie à l’UE, cette majorité est toute relative, et ne saurait passer sous silence le fait qu’un nombre tout aussi conséquent d’électeurs a exprimé des convictions radicalement opposées.Ainsi, le Parti socialiste est la formation qui a rassemblé le plus de suffrages en faisant campagne sur l’intégration de la Moldavie à l’Union économique eurasiatique, au côté de la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Arménie.Les derniers jours de la campagne ont en effet été marqués par l’apparition soudaine d’affiches portant la photo d’Igor Dodon, le président du Parti socialiste, en pleine discussion avec Vladimir Poutine. Le slogan, en roumain et en russe, venait expliciter cette bonne entente affichée : « Ensemble avec la Russie ». Difficile, dans ces conditions, de parler de victoire du camp pro-européen…Le véritable événement de ces élections, c’est donc la percée du Parti socialiste, qui n’était crédité que de 2% des votes au mois de juin et de 10% à la veille des élections. Un exploit qui, selon certains, s’explique par une arrivée soudaine de fonds russes – ce qui n’est pas à exclure, mais qui mérite une analyse approfondie.Cuisine partisaneLa campagne a en effet été éclaboussée par un scandale ayant touché le parti Patria. Ce mouvement, ouvertement pro-russe, qui n’a été enregistré qu’au mois de septembre, a été fondé par Renato Usatii, un homme d’affaire ayant la double-nationalité moldave et russe. Patria était déjà crédité de 12% des intentions de vote. Mais à la suite de la diffusion d’un enregistrement audio dans lequel Renato Usatii admettait prendre ses ordres des services secrets russes, et de preuves de versements de fonds venus de Moscou, la Commission électorale puis la Cour d’appel l’ont exclu du scrutin.Ainsi, les électeurs, privés de candidat, ont reporté leurs votes sur le Parti socialiste, dont la campagne en faveur de l’adhésion à l’Union économique eurasiatique a pu séduire. C’est en tout cas ce que suggère la plus élémentaire arithmétique : la somme des intentions de votes en faveur de Patria et du Parti socialiste avant l’interdiction du premier donne le score actuel du second.Cette analyse de vases communicants est néanmoins insuffisante. Pour expliquer le succès du Parti socialiste, il faut également prendre en compte les transformations du Parti communiste. Autrefois première formation politique du pays - tombée depuis en troisième position -,le PCM a connu une grave crise en 2011. Igor Dodon, qui en était un membre éminent, a mené une scission pour rejoindre le Parti socialiste. Il aurait emporté avec lui 20% des électeurs. L’arme du séparatismeCette concurrence au sein de l’opposition pro-russe, et le souvenir de la défection du Parti libéral qui avait fait tomber la précédente coalition, joueront un rôle important pour l’avenir du pays. La Russie pourra compter sur la présence d’un « parti ami » afin de continuer à exercer une pression continue sur Chişinău et influencer ses choix en matière de politique extérieure.C’est un levier de plus pour Moscou, qui dispose déjà du conflit gelé en Transnistrie pour rappeler sa présence. Cette mince bande de territoire, où, par ailleurs, les élections n’ont pas eu lieu, est toujours un sujet tendu pour la Russie et l’UE : la seconde souhaite renforcer son Partenariat oriental, ce à quoi la première répond en évoquant un scénario à l’ukrainienne.Quand à la Moldavie, si elle exclut toujours de renoncer à ses terres au-delà du Dniestr, elle craint qu’une accélération de son intégration européenne – voire son adhésion à l’Otan – risquent de relancer le conflit gelé depuis 1992.Outre la Transnistrie, la question gagaouze représente également un bon moyen de pression. Ce petit territoire d’à peine 2000 km², abrite une population turcophone, qui a récemment rappelé son existence en organisant un référendum sur son adhésion à l’Union économique eurasiatique et sur sa sécession de la Moldavie, dans le cas où cette dernière perdrait sa « souveraineté ». Toutefois, l’abstention a été très importante dans la région autonome, et il faudra attendre la publication des résultats officiels pour analyser le comportement électoral des Gagaouzes.Que le spectre de l’Euromaidan ait hanté la Moldavie depuis le début de la crise n’est pas un secret. Ce qui apparaît à la lumière de ces élections est la différence de perception des événements, et donc la profonde division de la population moldave. Pour les uns, favorables à l’intégration dans l’UE, l’Euromaidan a été enthousiasmant, au point de leur faire désirer que le gouvernement donne un coup d’accélérateur vers l’Europe. Pour les autres, proches de la Russie par la langue, l’histoire et la tradition, il n’y avait là que violence et instabilité.