Entretien. Antonis Davanelos est un des dirigeants de l’organisation grecque DEA (Gauche ouvrière internationaliste), une des composantes de Syriza. Avec deux autres organisations participant à Syriza, DEA a constitué le « Red network » (réseau rouge) et construit actuellement l’Alliance de gauche qui regroupe plusieurs courants de la gauche de Syriza.
Le gouvernement grec se vante d’une amélioration de la situation. Lors du récent débat parlementaire, le Premier ministre Samaras a même déclaré : « Nous avons fait un énorme pas en avant pour la Grèce de demain ». Que peut-on en dire ?Pour la masse de la population, ce qui domine la situation, ce sont « trois terribles 30 % » : 30 % de récession, 30 % de chômage, 30 % de baisse des salaires. La nouvelle convention collective réduit le salaire minimum à 580 euros. Beaucoup de familles n’ont plus d’accès à l’eau potable (300 000 logements) et à l’électricité (250 000). Le système public de santé et éducation recule, ce qui entraîne des coûts supplémentaires pour les familles.La Troïka a de nouvelles exigences : il existe un accord comprenant une partie secrète qui sera divulguée après les élections du 25 mai prochain. Il prévoit la libéralisation des licenciements dans le privé avec réduction des indemnités, la réduction des retraites et le report de l’âge de perception de la retraite. Cette politique est soutenue par la grande majorité de la classe dirigeante grecque.Où en est le mouvement social ?Il y a de nombreuses luttes. Il y a par exemple en ce moment une grève des femmes de ménage. Les enseignants du primaire feront grève le 4 avril. Et pour le 9 avril, il y a un appel à une grève générale (privé et public) contre les mesures d’austérité. Un peu partout, il y a des initiatives locales de lutte ou pour faire face aux problèmes quotidiens. Mais, globalement, l’auto-activité des travailleurs est en recul. En fait, les travailleurs cherchent une voie de sortie politique, et placent leurs espoirs dans une arrivée au pouvoir de Syriza.Les élections législatives vont avoir lieu le 25 mai. Comment se disposent les différentes forces politiques ?La droite grecque est en train de se recomposer : un nouveau parti est en construction, Samaras maintient une ligne très à droite, d’autres évoluent vers le centre. L’Aube dorée peut se reconstruire sur la base de la crise de la Nouvelle Démocratie, avec des méthodes temporairement « modérées ». Le Pasok continue de s’effondrer. Syriza est le premier parti dans les sondages. Le KKE est lui à 5 % et, malgré son influence syndicale, Antarsya est à moins de 1 %. Donc Syriza peut gagner les élections.Il y a une campagne de la droite et du patronat contre Syriza et sa gauche incontrôlable par la direction. Ce contexte entraîne des tensions dans Syriza. Certains secteurs essaient d’entraîner le parti vers la droite, vers des compromis qui révisent à la baisse les orientations adoptées dans les congrès et conférences de Syriza. Ils voudraient « normaliser » le parti. Nous savons qu’une arrivée au gouvernement sans un mouvement de masse offensif n’est pas une situation idéale.Où en est la gauche de Syriza ?Nous sommes une des composantes de cette gauche. Notre orientation est claire : nous défendons Syriza et travaillons à renforcer son implantation parmi les travailleurs, mais nous ne dissoudrons pas notre organisation comme certains voudraient nous l’imposer. Et nous construisons la gauche avec d’autres. L’Alliance de gauche, qui représente 30 % dans les votes des instances du parti, regroupe le courant de gauche de Synapismos (le courant issu de l’ancien PC grec qui a joué un rôle essentiel dans la naissance de Syriza) et le « Réseau rouge » que nous avons formé avec deux autres organisations de Syriza.L’Alliance de gauche a deux bases essentielles. D’abord, nous sommes pour un gouvernement de la gauche (Syriza, KKE, Antarsya), contre toute forme de gouvernement d’unité nationale. Ensuite, il faut en finir avec l’austérité et appliquer, concernant l’annulation des mémorandums, la dette, les banques, au minimum tout ce qui a été voté par les congrès et conférences de Syriza. Il faut refuser tout chantage européen et il faudra s’en défendre par tous les moyens nécessaires. Un des problèmes qui se pose est la difficulté des rapports avec le KKE et Antarsya : ils tendent tous les deux à se refermer sur eux-mêmes et à refuser une perspective unitaire, ce qui renforce la droite de Syriza et favorise les manœuvres et oscillations du centre du parti.Plus précisément, quelle est la position de DEA sur l’Union européenne et l’Euro ?Nous sommes des internationalistes. Avant de parler de l’Union européenne, je voudrais rappeler qu’il y a d’autres questions : ainsi, même dans Syriza, il y a un manque de volonté de pacifier les relations avec la Turquie. Nous essayons de pousser Syriza et toute la gauche en ce sens. Nous soutenons aussi les luttes des travailleurs et de la jeunesse turcs. La Turquie est une question centrale, il en est de même des révolutions arabes. Nous devons regarder vers l’Est et le Sud et non seulement vers l’Ouest.Pour ce qui est de l’Europe, l’Union européenne telle qu’elle existe est incompatible avec toute politique progressiste. Cette Europe est de plus en plus autoritaire. La discipline budgétaire détruit la démocratie. Il n’y pas de changement possible de l’intérieur des institutions de l’UE. Face à cette Europe, il ne suffit pas de dire qu’on est pour les États-Unis socialistes d’Europe (même si c’est notre perspective) : nous devons affronter les questions immédiates. Le mot d’ordre « aucun sacrifice pour l’euro » a été le résultat de notre bataille dans Syriza. Il faut être plus concret maintenant : quand nous disons qu’il faudra se défendre par tous les moyens nécessaires, cela veut dire y compris par la sortie de l’euro. Nous devons y être prêts. Ce n’est pas notre premier choix, mais nous devons y être prêts. Une victoire en Grèce aura un effet domino sur d’autres pays. Un gouvernement de gauche devrait expliquer ses actions et en appeler à la solidarité des travailleurs et de la gauche en Europe : une action commune sera nécessaire pour résister à toute tentative d’étrangler cette expérience. Il faut que quelqu’un ouvre les portes de cette prison qu’est devenue l’Europe de l’austérité, et ensuite que l’expérience s’élargisse.Propos recueillis à Athènes le 30 mars par Henri Wilno