Publié le Jeudi 4 août 2016 à 14h16.

49.3, une exception française

Le 7 juillet dernier, aux obsèques de Michel Rocard, le président de tous les reniements n’a pu se retenir de jouer les charognards en casant dans son discours une allusion à l’utilisation du 49.3 par le défunt quand il était premier ministre, en ajoutant qu’il « n’avait jamais joué contre son camp ». Les « frondeurs » du PS apprécieront.

Le 49.3, c’est cet article de la Constitution qui permet qu’un texte de loi soit adopté sans vote et même sans débat par les députés. Le gouvernement décide au moment où il le veut d’engager sa responsabilité sur le texte. Cela lui permet d’empêcher les débats gênants (comme, par exemple, sur le fameux article 2 de la loi Travail sur les accords d’entreprise). Le texte est adopté sans vote, sauf si les opposants déposent une motion de censure qui doit être signée par au moins un dixième des députés (actuellement, 58). Ensuite, seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure, qui ne peut être adoptée qu’à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée : les abstentionnistes ou les absents sont donc comptés comme des soutiens du gouvernement.

Il ne s’agit pas d’idéaliser les démocraties bourgeoises, mais le 49.3 n’a pas d’équivalent. Partout ailleurs dans les grands pays capitalistes, les lois doivent être votées par le parlement. Certes, les parlementaires peuvent être achetés ou menacés, ou bien le gouvernement peut leur mentir (ce qui a été, par exemple, le cas en Angleterre et aux Etats-Unis pour envahir l’Irak en 2003), mais il n’y a pas moyen d’éluder la nécessité d’un vote.

En France, ce n’est pas le cas. Et il n’y a pas que le 49.3. Sur toute une série de sujets de politique étrangère, président et gouvernement peuvent décider sans vote préalable. Et Hollande s’en félicite : dans une interview récente, il se vantait que la Constitution lui ait permis « d’intervenir au Mali en quelques heures ».De même sur toute une série de questions européennes, où il peut s’engager sans en référer aux élus (ce qui n’est pas le cas en Allemagne).

Pour la loi El Khomri, le gouvernement n’a pas le soutien de l’opinion ni la majorité au parlement. La droite est dans son rôle (elle n’a rien contre le sens de la loi, mais ne veut pas faire de cadeau à un président en bout de course). Ce qui coince, outre les manifestations répétées, ce sont les députés du PCF, ceux restés aux Verts et les dissidents du PS. Ces derniers peuvent d’ailleurs s’appuyer sur la motion largement majoritaire au dernier congrès de leur parti (et alors soutenue par Valls), qui affirme s’opposer à toute inversion de la hiérarchie des normes.

Donc, 49.3 lors du premier examen du texte, 49.3 lors du second et certainement 49.3 pour le dernier, vers le 20 juillet. Dans le même temps, on menace les députés PS de ne pas les présenter aux législatives, voire de les exclure s’ils se joignent à une motion de censure. La manœuvre a réussi : par deux fois, il a manqué deux députés pour que la motion de censure soit soumise au vote.

Pour faire passer son sale projet, ce gouvernement aura utilisé tous les instruments de la pseudo-démocratie française : la répression policière, l’état d’urgence et le 49.3. Déchéance de la nationalité, loi « Travail », Hollande et Valls ont décidé de passer la gauche et leur propre parti par pertes et profits. Leur modèle est l’Italie, où des combinaisons centristes gouvernent avec l’appui direct de fractions du grand patronat et où la gauche a été éliminée du parlement.

La contre-offensive sociale, dans la foulée du long mouvement contre la loi Travail, est le seul moyen d’y faire face, ainsi d’ailleurs qu’à la droite et à Le Pen. Le printemps a été chaud, travaillons à une rentrée de luttes.

 

Henri Wilno