Publié le Lundi 18 janvier 2016 à 12h05.

Après le coup de semonce des élections régionales

Le petit jeu et les surenchères auxquels les partis du système, PS et LR, se livrent avec le Front national, n’ont jamais été aussi lourds de dangers. La construction d’une alternative anticapitaliste indépendante reste le seul moyen d’aider à redresser la situation, qui peut néanmoins évoluer rapidement.

Le 23 décembre, deux semaines seulement après le deuxième tour des élections régionales, le gouvernement Hollande-Valls décidait de faire inscrire dans la constitution l’extension de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France condamnés pour terrorisme. La droite, de son côté, réclamait la démission de Christiane Taubira qui avait dit publiquement, avant de se soumettre, son opposition à cette mesure. Les partis de gouvernement venaient d’utiliser le Front national comme repoussoir pour sauvegarder leurs postes mais à peine les élections terminées, ils reprenaient ou approuvaient une de ses mesures les plus emblématiques. Voilà qui facilitera pour le Front national des succès ultérieurs et qui indique à quel point il serait aussi illusoire que dangereux de s’en remettre au PS ou au Front républicain pour espérer lui faire barrage. 

 

Un échec en trompe-l’œil

Le Front national n’aura finalement remporté aucune présidence de région comme il en avait l’objectif mais il a fait élire 358 conseillers régionaux, plus que le PS. Et il réalise les meilleurs scores électoraux de son histoire, 27,73 % des exprimés au premier tour et 27,10 % au second avec 800 000 voix de plus entre les deux tours, de 6 à 6,8 millions. Parmi les abstentionnistes du premier tour, des électeurs se sont mobilisés dans l’idée de lui faire barrage – la participation a augmenté de huit points entre les deux tours –, mais d’autres, surtout dans le Nord et en Paca, sont allés voter dans l’espoir de le voir remporter la région. On compte parmi eux beaucoup de jeunes. 66 % des jeunes de 18 à 34 ans s’abstiennent mais, parmi ceux qui votent, 29,5 % le font pour le FN.   

En ordonnant aux listes PS de se retirer dans trois régions pour laisser la droite seule face au FN, Hollande et Valls ont clairement signifié qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre la gauche et la droite, ce qu’ils démontrent chaque jour dans leur gestion gouvernementale et qui alimente la propagande du FN contre le système « UMPS ». 

Au soir du deuxième tour, Valls a indiqué les grandes lignes du gouvernement pour les mois à venir. Il a promis « d’agir sans relâche plus vite, pour obtenir plus de résultats ».  Oui, le chômage, la misère, l’absence de perspectives pour les jeunes, tout cela doit trouver des solutions. C’est le désespoir qui nourrit le vote FN, c’est le discrédit des partis responsables de cette situation, gauche aujourd’hui, droite hier, qui rejette à chaque élection de nouveaux électeurs vers le parti d’extrême droite dont la qualité principale à leurs yeux est qu’il n’a jamais été au pouvoir. 

Mais le cynisme gouvernemental est sans limites et tellement évident qu’un journaliste des Echos rapporte qu’« un membre du gouvernement redoute que l’on se contente, au final, de «mettre 400 000 chômeurs en formation pour faire baisser les statistiques» ».1 Quand Valls affirme « l’emploi, la formation des chômeurs, l’apprentissage pour nos jeunes doivent mobiliser plus que jamais toute notre énergie », il ne fait qu’annoncer une accentuation de la politique de déréglementation des droits sociaux tout en préparant les conditions d’une inversion sur le papier de la courbe du chômage, sans laquelle Hollande a assuré qu’il ne se représenterait pas. 

Par leur tournant sécuritaire, ultranationaliste et guerrier après les attentats du 13 novembre, Hollande et Valls donnent raison au Front national, comme celui-ci s’est plu à le dire lui-même. Cela fait d’ailleurs déjà longtemps que le Front national donne le « la » aux partis politiques institutionnels qui en ont repris les thématiques en surfant sur le sécuritaire et la xénophobie. Mais les raisons de sa force actuelle, de son influence dans les couches  populaires sont plus profondes et remontent à plus loin. Elles sont à rechercher dans les bouleversements sociaux nés de la mondialisation libérale, cette offensive généralisée des multinationales et de leurs Etats contre les travailleurs et les peuples.

 

Décomposition sociale, discrédit des partis de gouvernement

La suppression de toutes les entraves à la pénétration des capitaux dans les parties du monde ou les sphères d’activité sociale qui leur échappaient, l’émergence de puissances économiques nouvelles, la mise en concurrence des travailleurs du monde entier, ont généré une crise et une décomposition sociales qui constituent le terreau sur lequel se sont développés des courants ultra-réactionnaires, sous la forme de partis d’extrême droite – dont certains ouvertement fascistes – en Europe et aux Etats-Unis, d’extrémismes religieux dans les pays ravagés par les interventions impérialistes, les uns et les autres s’alimentant réciproquement.

Embryonnaires au départ, ces courants sont devenus de véritables forces parce que leur influence, à laquelle l’effondrement du mouvement ouvrier et des forces nationalistes issues des révolutions coloniales a laissé le champ libre, a grandi dans les couches populaires minées par la dégradation des conditions d’existence, la crainte de l’avenir, le désespoir. C’est que tous les gouvernements, de quelque sensibilité politique qu’ils soient, mènent la même politique, hostile aux intérêts de la population parce qu’au service des multinationales qui se sont soumis les Etats dans le monde entier par le biais de la dette publique. Ils n’ont, dans le cadre du système, plus aucune marge de manœuvre – l’expérience de Syriza en Grèce l’a récemment montré.

En France comme dans le reste de l’Europe, après la Deuxième Guerre mondiale, dans une période de reconstruction, d’immenses marchés, de besoin de main d’oeuvre, marquée en outre par un rapport de forces plus favorable à la classe ouvrière, L’Etat avait pu être un instrument du développement et du profit capitalistes en développant les services publics, les législations et protections sociales. Aujourd’hui, il ne peut plus être qu’un instrument de destruction de ces progrès sociaux – pour que puisse s’exercer  librement la rapacité des multinationales – et d’enrichissement parasitaire des plus riches.

En France, les entreprises ont retrouvé, nous dit l’économiste Patrick Artus, leur taux de profitabilité, leurs marges bénéficiaires d’avant la crise de 2008, grâce « à la  modération salariale et à la baisse des impôts des entreprises (CICE-Pacte de responsabilité) ».2 En 2014, les bénéfices des entreprises du CAC40 se sont élevés à 64,4 milliards d’euros et les dividendes à 46 milliards. Pour l’année 2016, 195 milliards d’euros sont prévus en niches fiscales qui permettent aux particuliers les plus riches (propriétaires de logements, employeurs de salariés à domicile, etc.) mais surtout au patronat de  réduire considérablement leurs impôts. Parallèlement, toutes les statistiques qui mesurent la détresse sociale explosent, chômage (plus de 5,5 millions de personnes), pauvreté (8,5 millions), mal logés  (3,8 millions) – et ces chiffres ne mesurent pas le degré d’anxiété, de crainte que peuvent éprouver les adultes pour l’avenir de leurs enfants.

Cette situation engendre une grande instabilité politique. Les équipes au pouvoir s’usent à grande vitesse, elles alternent sans aucun autre changement que la détérioration des conditions de vie pour la grande masse de la population. Chaque gouvernement est de ce point de vue pire que le précédent, dans la logique de la dégradation du rapport de forces entre les classes possédantes et la classe ouvrière.

 

Redonner vie aux perspectives révolutionnaires et internationalistes 

C’est pourquoi on peut et doit bien entendu livrer, avec toutes les forces et individus qui y sont prêts, des combats partiels contre les conséquences de cet état de fait, les menaces aux libertés publiques et aux droits démocratiques, contre le racisme sous quelque forme qu’il se présente. On peut et doit aussi défendre pied à pied les droits sociaux et se battre pour des revendications qui limitent la dégradation des conditions de travail et de salaire, d’accès de toutes et tous à la santé, à l’éducation et à la culture. Mais il est en même temps indispensable de reconstruire une perspective de transformation de la société, qui ne peut être que révolutionnaire.

Il ne pourra en effet y avoir de combats victorieux, même défensifs ou partiels, sans une mobilisation d’ensemble du monde du travail et de la jeunesse, sans un affrontement avec le gouvernement et avec l’Etat. Dans l’état actuel des choses, on ne peut compter sur les appareils syndicaux pour préparer et organiser un tel mouvement. Ils sont trop respectueux du cadre institutionnel, eux qui ont accepté de participer à la concertation de toutes les mesures de régression sociale. Cependant un tel mouvement pourrait se produire, tant la colère est grande alors que nombre de militants, de salariés, de jeunes, n’ont pas oublié les leçons des mouvements qu’ils ont eux-mêmes vécus, avec la contagion des rapports démocratiques et de solidarité qui se créent en de telles occasions.

Enrayer réellement la dégradation des conditions d’existence, éradiquer le chômage et la précarité, augmenter le niveau de vie d’une grande partie de la population qui en est réduite à vivre au jour le jour,  suppose l’interdiction des licenciements et le partage du travail entre toutes et tous, l’augmentation des salaires, ce qui implique à son tour de s’en prendre à la propriété privée, d’annuler la dette publique, d’exproprier les sociétés financières et bancaires pour les remplacer par un monopole public du crédit, que la population prenne le contrôle de l’économie. Au final, c’est la question du pouvoir qui est posée, c’est-à-dire de qui dirige la société et dans l’intérêt de qui.

L’instrument idéologique que privilégie la bourgeoisie, le nationalisme, a été tellement propagé par les médias et les institutions, jusque dans le mouvement ouvrier, que les travailleurs se retrouvent désarmés lorsque face à leurs revendications, le patronat et l’Etat mettent en avant les exigences de la mondialisation et de la concurrence. Pourtant la mondialisation libérale tend à imposer aux travailleurs du monde entier les mêmes conditions d’exploitation, les mêmes logiques de concurrence ; et la plupart des problèmes qui se posent aujourd’hui, crise économique, crise des migrants, crise écologique, sont d’emblée internationaux.

Les militants altermondialistes des années 2000 mettaient en avant la nécessaire « mondialisation des luttes ». Au mondialisme libéral et impérialiste qui exploite et opprime les travailleurs et les peuples, opposons un mondialisme socialiste et révolutionnaire, l’internationalisme.

Le moment politique que nous vivons n’est qu’un moment, nous connaîtrons d’autres grands mouvements de mobilisation comme nous l’avons vu en Grèce et en Espagne. C’est à ces situations que nous devons nous préparer pour leur permettre d’aller jusqu’au bout de leurs possibilités.

Galia Trépère