Publié le Mardi 4 mars 2014 à 11h25.

Face au « vent mauvais »

En 1866, sous le Second Empire, Verlaine écrivait la « Chanson d’automne » dont beaucoup d’entre nous conservent un vague souvenir scolaire. Elle contient ces vers :

Je me souviens / Des jours anciens / Et je pleure

Et je m’en vais / Au vent mauvais / Qui m’emporte

Deçà, delà, /Pareil à la / Feuille morte.

On peut faire une analogie entre cette situation et l’attitude d’une partie des intellectuels et même des militants de gauche dans le contexte social actuel. On revient continuellement sur les jours anciens, « les jours heureux » (pour reprendre le titre d’un film-documentaire récent sur le Conseil national de la résistance en 1944) et, face au « vent mauvais », on va « deçà, delà » au gré du moment. En fait, il n’y a pas eu de jours vraiment heureux, ou alors, ceux-ci ont été la conséquence de luttes acharnées.

Rien n’est plus urgent que de comprendre pour agir. À partir des années 1970, la social-démocratie internationale a été  bousculée par la progression du néolibéralisme1. Subissant le contrecoup de la crise économique et de l’apparition après 1968 de nouvelles thématiques dans le champ des idées de gauche, son déclin s’est accéléré. Sa réponse à ces défis s’est faite suivant plusieurs axes. Un axe social-démocrate classique mettait en avant la croissance économique, l’emploi et la justice sociale. Un deuxième axe tentait de se réapproprier des thèmes popularisés à la suite de mai 68 : aspirations autogestionnaires, égalité entre les sexes, écologie. Le troisième, d’inspiration néolibérale, acceptait désormais la compression des dépenses publiques, les privatisations, la liberté des marchés. Ce troisième axe est progressivement devenu dominant.

Dans chacun des pays européens, cette évolution générale a pris des formes particulières. En France, la place particulière du PCF et de l’extrême-gauche, la crainte de réactions sociales du type du mouvement de 1995, a longtemps rendu difficile l’aveu ouvert de cette mutation, même si elle est passée dans les faits. C’est ce qui explique que, tout en privatisant et en acceptant l’Europe libérale, les dirigeants du PS persistent à se dire socialistes et non sociaux-démocrates. Hollande vient de franchir le pas mais sa politique n’a plus rien à voir avec la social-démocratie qui redistribuait au travail une partie des gains du capital.

Ne pas aller « comme une feuille morte »

Cette politique s’accompagne de discours et de mesures visant à diviser le camp populaire. On dénonce les fraudeurs du RSA, des allocations-chômage et des indemnités de maladie même si cela ne représente qu’une goutte d’eau au regard des fraudes patronales. On stigmatise un intégrisme islamique qui existe mais en même temps on pactise avec l’Eglise catholique et on cautionne le discours pro-israélien qui assimile critique d’Israël et antisémitisme. Cela permet de monter les salariés contre les chômeurs, les originaires du Maghreb contre les Juifs, etc. Et favorise les monstres jumeaux Marine Le Pen et Dieudonné.

Face à cela, il importe de ne pas aller « comme une feuille morte ». Le cadre dans lequel vise à agir le NPA est bien sûr discutable, mais il existe. Il y a dans le contexte de la crise une offensive globale de la bourgeoisie en Europe appuyée par ses deux agents politiques : la droite et le social-libéralisme. Cette offensive fait le jeu de l’extrême droite mais l’antifascisme ne peut être efficace que s’il est lié à la revendication sociale. La politique d’austérité ne ressort pas d’une erreur  mais d’une logique de restauration du taux de profit : on ne la mettra pas en échec avec un « bon programme » (même si les programmes sont nécessaires) mais avec des mouvements sociaux.

Le rôle des anticapitalistes est de contribuer à ces mouvements et d’agir pour les faire converger. Pour cela, il est nécessaire, chaque fois que c’est possible, de construire l’unité, tout en ne cédant pas sur les objectifs et l’indépendance par rapport au social-libéralisme. Par ailleurs, face aux dérives nationalistes, il faut affirmer la communauté d’intérêts des exploités, indépendamment de l’origine et de la nationalité.

Au-delà des aléas quotidiens et des erreurs que nous pouvons faire, ces quelques phrases résument le fil à plomb de l’activité du NPA, afin qu’une contre-offensive  triomphe du « désespoir contre-révolutionnaire ». Dans l’immédiat, c’est dans cette perspective que s’inscrit notre initiative pour un « week-end de révolte de gauche ».

Henri Wilno

1. Ce paragraphe reprend des éléments d’analyse développés par Philippe Marlière dans son article « François Hollande, le social-démocrate imaginaire »,  publié le 15 janvier 2014 sur le site de Politis.