Entretien. Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classait l’épidémie de Covid-19 comme une « pandémie ». À l’occasion de ce triste anniversaire, nous nous sommes entretenus avec Frank Prouhet, médecin généraliste et l’un des initiateurs de l’appel « Brevets sur les vaccins anti-covid, stop. Réquisition ! ».
Un an de Covid… Où en est-on ?
Sauf en Asie, la pandémie garde toute sa force épidémique. Elle a déjà fait plus de 2,5 millions de morts, sans parler des millions de personnes qui vivent avec un covid long, qui dépriment – l’usage des anxiolytiques et anti-dépresseurs explose – et sans parler aussi des autres pathologies négligées. Elle révèle et aggrave les fractures des sociétés capitalistes, favorise une offensive bourgeoise contre nos emplois, salaires ou libertés, et frappe plus durement les plus pauvres, les plus exclus. En France, vers la fin du mois de mars, les 100 000 morts vont être dépassés.
Mais du côté de la situation sanitaire, deux faits sont marquants. Le premier, c’est l’émergence massive de nouveaux variants dans les régions où la circulation virale est haute. Le deuxième, c’est l’arrivée de vaccins. Avec une véritable course de vitesse entre les deux. Les variants qui ont émergé à peu près simultanément au Brésil, en Angleterre, en Afrique du Sud, remplacent rapidement la souche historique. Ils sont plus contagieux, pas forcément plus mortels, mais ils relancent rapidement l’épidémie dans ces régions du monde, où ils risquent de submerger les systèmes de santé, avec la menace en France d’un troisième confinement. Les bourgeoisies, qui au pire nient la menace épidémique comme Jaïr Bolsonaro ou Trump, se satisfont au mieux d’un taux de circulation haut du virus, se contentant de bloquer la société quand la pandémie risque de s’emballer – c’est le « stop and go » de Macron – portent une lourde part de responsabilité dans l’émergence de ces variants.
Il est à souligner que pour l’instant, en Asie, où la circulation du virus est basse, on ne note pas d’apparition de variants plus contagieux. Cela favorise le basculement du monde vers l’Asie, dans un cadre de concurrence inter-impérialiste aggravé. Ces variants interrogent la notion d’immunité collective bâtie soit sur la maladie, avec ses millions de morts, soit sur la vaccination. Manaus au Brésil, une gigantesque mégalopole de deux millions d’habitantEs plantée au milieu de l’Amazonie, avait déjà connu une première vague dévastatrice. La revue Nature estimait même que 70 % de la population avait des anti-corps. L’immunité collective devait être atteinte. L’apparition du variant dit de Manaus va bousculer cette certitude, relancer une nouvelle puissante vague épidémique, et l’on a revu cette course effrénée aux bouteilles d’oxygène dans un pays au système de santé laminé par l’austérité et le FMI, dont les dirigeants vont jusqu’à nier la gravité du virus.
Mais il y a tout de même la bonne nouvelle des vaccins ?
« Si les vaccins étaient déjà des biens publics, nous n’aurions pas de vaccins contre le Covid. C’est la compétition capitalistique, l’excitation de l’investissement qui l’ont permis ». C’est le refrain des défenseurs de l’industrie pharmaceutique, un secteur clef du capitalisme, avec des taux de rentabilité autour de 25 %. Nous devons répondre au contraire que c’est la mise dans le domaine public sans brevet du code génétique du virus, la recherche publique sur les vaccins à ARN, l’argent public de la socialisation des investissements à travers notamment les pré-achats, en bref le socialisme en germe malgré lui sous le capitalisme, qui ont permis la découverte de vaccins anti-covid. Et que c’est le carcan de la rentabilité capitaliste, ses brevets, sa réduction des capacités de production pour produire à flux tendu pour les marchés solvables, qui fait que malgré ces découvertes, le monde est privé de vaccins, que l’apartheid vaccinal règne. C’est pourquoi les mobilisations pour des vaccins biens publics mondiaux, la réquisition des entreprises, sont si importantes. Les vaccins disponibles diminuent la gravité du covid, mais réduisent aussi la transmission et donc le risque de variants plus graves. Le refus de Macron à l’OMC de lever les brevets est criminel.
Que penses-tu de la stratégie « zéro covid » (confinements, quarantaine et isolements stricts) ?
La stratégie « zéro covid » s’oppose au business as usual de Trump et Bolsonaro qui laisse courir le virus pour garantir les profits. Mais elle s’oppose aussi au « stop and go », qui laisse le virus circuler à un haut niveau, et bloque quand le système de santé risque d’être dépassé, équilibre instable de pressions sociales contradictoires. Ceux d’en bas veulent être protégés du virus, ceux d’en haut veulent malgré tout garantir leurs profits ou limiter leurs pertes. La stratégie « zéro covid » propose de bloquer fortement la société jusqu’à réduire à un niveau extrêmement bas la circulation virale, pour pouvoir dans un deuxième temps rouvrir largement tout en testant et isolant massivement dès qu’un cas est retrouvé.
Du point de vue sanitaire, évidemment cette question se pose. Pour réduire le nombre de morts et éviter l’apparition de variants plus agressifs, que la haute circulation virale favorise. C’est d’ailleurs spontanément le sentiment qui dominait lors de la première vague. Quand les salariéEs, la population, non seulement acceptait, mais poussait à la fin des productions inutiles, en utilisant la grève (pourquoi produire des navires de croisière aux Chantiers de l’Atlantique, des nacelles d’avion de combat chez Safran) ou le droit de retrait.
Le problème, c’est que la gestion de la pandémie a miné l’acceptation sociale de cette stratégie, qui suppose trois choses : de la démocratie, des moyens sociaux et collectifs pour la supporter et la confiance dans cet horizon et ceux qui la portent. Les mensonges du gouvernement sur les masques et les tests lui ôtent toute crédibilité. L’empilement des confinements, couvre-feux, la gestion policière de la pandémie rendent les confinements insupportables. D’autant plus que les gouvernements bourgeois ont fait de la partie de nos vies qui produit des profits un intouchable, et du temps où nous rencontrons nos amis, notre famille, nos amours, la culture, la seule variable d’ajustement face à la pandémie.
Alors tant que la politique de Macron ne nous confronte pas à une montée exponentielle des contaminations, la stratégie « zéro covid » que le mouvement ouvrier devrait défendre ne peut s’appuyer d’abord sur l’exigence d’un reconfinement, mais doit s’appuyer sur l’exigence de protocoles zéro covid sur les lieux de travail, d’étude, de loisir, de transport : fabriqués avec les citoyenEs, les syndicats, les organisations, en lien avec les professionnelEs de santé ; financés sur les profits ; garantis par la mobilisation sociale et le contrôle citoyen. Mais aussi sur une politique de tests, d’information et d’isolement fabriquée avec les usagerEs, en généralisant les équipes de type Covisam (toujours promises, jamais généralisées) et les mobilisations communautaires, sur la garantie des revenus et de logement, sur des investissements massifs pour le système de santé, une campagne rapide de vaccination rendue possible par la fin des brevets et la réquisition.
Les USA et l’Union européenne préparent des plans de relance massifs, avec des milliards d’investissements.
Le paradoxe de cette crise, c’est que les relances de la bourgeoisie favorisent les secteurs qui sont à l’origine de la pandémie et de sa gestion désastreuse : l’agrobusiness et la perte de la biodiversité qui favorisent l’apparition de futures pandémies ; l’émergence d’un capitalisme numérique de contrôle social autoritaire, alors que seule une auto-organisation et une santé communautaire sont efficaces ; le monde d’Amazon et plus largement des Gafam, qui prend du pouvoir sur nos vies. Alors que les milliards d’investissements devraient accroitre la biodiversité et la santé animale contre l’agrobusiness, réduire le temps de travail, socialiser les productions utiles, investir dans l’école et les services publics, donner du pouvoir dans les lieux de travail, d’étude, de loisir pour réduire les contaminations. Cela réduirait d’ailleurs aussi le réchauffement climatique. Le mouvement ouvrier a été rejeté sur la défensive, on le voit avec le gel du Hirak en Algérie ou du mouvement démocratique à Hong Kong. Mais le réveil du Hirak semble montrer que le feu couve. Après la pandémie, le FMI met en garde contre une explosion sociale. À nous de la construire.