Publié le Lundi 2 mars 2020 à 11h43.

Coronavirus : « Nous sommes dans une situation où on n’a sûrement pas les reins pour réagir et répondre correctement aux besoins »

Stéphane Dauger, chef du service de réanimation de l’hôpital pédiatrique Robert-Debré à Paris, a accepté de répondre à nos questions. Le soir-même de cette interview, nous avons appris la décision prise par le gouvernement d’utiliser le 49.3 pour passer en force sa réforme des retraites. Ainsi donc, la prétendue mobilisation gouvernementale contre le coronavirus aura été un paravent à cette initiative brutale.

200 soignantEs sont frappés d’une mesure d’éviction dans l’Oise, des services sont fermés et, à Tenon-AP-HP, c’est l’éviction de 58 soignantEs. On passe en alerte de niveau 2 sans passer par le stade 1 suite à un déni certain de la part des autorités. Nous venons d’entendre l’intervention du ministre de la Santé, au terme de plusieurs heures passées en conseils de défense et des ministres consacrés au coronavirus. Il s’est exprimé sur l’épidémie qui vient. Il n’a pas eu un mot pour l’hôpital public. Celui-ci n’est même pas cité, une seule fois

Effectivement, pas un mot. C’est très impressionnant. C’est dans le droit fil de ce qu’on vit actuellement.

Cette crise au coronavirus jette une lumière crue sur les alertes et les revendications portées, depuis près d’un an, par le Collectif inter-urgences (CIU) et désormais le Collectif inter-hôpitaux (CIH). La catastrophe annoncée pourrait se produire. 

On est bien d’accord. Après, il faut faire attention, parce que de toute façon, nous aurions été dans une situation compliquée même en ayant plus de moyens, il faut rester objectif. Si ça part très vite et très fort, ça aurait été de toute façon compliqué à gérer mais, effectivement, nous sommes dans une situation où on n’a sûrement pas les reins pour réagir et répondre correctement aux besoins. Ça c’est une évidence !

Tu es impliqué dans le CIH, qui multiplie les initiatives pour se faire entendre des autorités sanitaires tout en assurant la continuité des soins. Aujourd’hui, qu’en est-il ? Les hospitalièrEs se heurtent à un mur même si Macron a proposé de recevoir une délégation du CIH.

Je ne l’avais pas entendu, on me l’a rapporté. Effectivement, pour l’instant, nous n’avons aucune réponse à nos revendications. Pour les quatre qui ont été formulées en assemblée générale depuis octobre dernier, nous n’avons jamais eu de réponse digne de ce nom de nos interlocuteurs qui, pour l’instant, ont été les ministres successifs de la Santé. La dernière fois, quatre chefs de service démissionnaires ont rencontré le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran. Il n’y a eu aucune avancée significative. Il s’est retranché derrière le rapport de l’IGAS [Inspection générale des affaires sociales] qui devrait sortir fin mars. Quelques mots sur la gouvernance et sur la possibilité, à la reprise d’une partie de la dette, de dégager peut-être plus d’argent que ce qui avait été avancé par la ministre précédente. Mais ce ne sont que des propositions sans aucune documentation, aucune qui soit à la hauteur des enjeux. Sur la table, rien de concret sur le financement, les salaires, la réouverture des lits et la gouvernance. Aucune matière à engager des discussions. Nous sommes réalistes, tout ne peut pas être obtenu d’un seul coup mais par contre nous attendions un signal fort sur chacune de nos exigences, avec un calendrier officiel dévoilé publiquement. À ce jour, fin février 2020, rien du tout. 

Le neurologue de la Pitié, celui qui a secoué Macron, l’a bien compris, en interpellant vigoureusement le Président.

Oui, nous en appelons au Président de la République. Il y a eu cette intervention de notre collègue de la Pitié qui a sans doute accéléré les choses. Nous restons vigilants. L’état d’esprit du CIH et des centaines de chefs de services démissionnaires reste le même, nous voulons des avancées tangibles sur nos quatre revendications, tout de suite. Et après, pourquoi pas, un calendrier de négociations avec toutes les organisations qui participent activement au mouvement.

Aujourd’hui, nous sommes à la veille du stade 3 de l’épidémie et il n’est même pas envisagé de mesures urgentes de renfort des moyens sanitaires ? L'attitude de ce gouvernement est inquiétante.

Je suis tout à fait d’accord. Pour le moment, sans annonce, de la part de la direction générale de l’AP-HP, de mesures particulières, les médecins démissionnaires de Saint-Louis-AP-HP ont écrit au directeur, pour décliner son invitation à une réunion institutionnelle. Celui-ci n’annonce aucune consigne particulière de mobilisation du personnel, pas de renfort, rien… 

D’autant plus que par exemple, en Île-de-France, pendant les épidémies hivernales, tous les nourrissons n’ont pas pu être pris en charge et ont été hospitalisés loin de chez eux. Et nous ne sommes pas encore sortis de l’épidémie de grippe.

Je ne connais pas précisément toutes les données adultes mais il semble que le coronavirus ne touche pas gravement les enfants sains mais nous pouvons craindre, pour ceux qui sont fragiles, des pathologies respiratoires liées à ce virus. Ce qui est sûr c’est que, pour ma région et peut-être partout ailleurs en France, la réflexion a semblé, au moins en pédiatrie, limitée à l’établissement, alors qu’elle devrait être globale sur la région. Elle porte sur les capacités de tel ou tel hôpital à faire face à la vague sans concevoir le dispositif à l’échelle des territoires. Dans le même esprit que Mme Buzyn à propos des difficultés de la réanimation pédiatrique en Île-de-France lors de l’épidémie de bronchiolite, plutôt que de s’interroger sur les manques majeurs en amont et en aval, Véran a ciblé les services eux-mêmes. Si demain des enfants, pas très malades, devaient arriver aux urgences, accompagnés de leurs parents inquiets, sans même avoir  besoin d’être hospitalisés, cet afflux pourrait être à l’origine de la désorganisation des hôpitaux, bien au-delà des établissements de référence censés accueillir les formes les plus graves. Les services d’urgences manquent déjà de personnel et en l’absence de lits d’aval, il leur sera impossible de faire face. Cette absence de réflexion régionale en Île-de-France, essentiellement sur une augmentation immédiate des moyens humains, m’inquiète particulièrement. Les autorités sanitaires doivent s’appuyer sur les professionnels qui connaissent les structures, les circuits, les compétences pour prendre leurs décisions. Nous le réclamons depuis des mois. Maintenant nous sommes au pied du mur. 

Des autorités sanitaires qui sortent enfin du déni mais ne prennent pas réellement la mesure des choses. 

Le combat continue. Nous, chefs de services démissionnaires, lançons un appel à élargir le mouvement à l’ensemble des responsables médicaux de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Tant que les revendications du CIH ne seront pas satisfaites, nous ne baissons pas les bras. Nous restons motivés !