Ce jeudi 28 novembre avait lieu la niche parlementaire de la France insoumise à l’Assemblée nationale. Au programme, était discuté en premier le texte d’abrogation de la réforme des retraites.
Là où le Rassemblement national avait déjà essayé un mois auparavant, sans succès, du fait de leur proposition de financement inacceptable pour la gauche, la France insoumise a, elle aussi, essuyé un échec difficile du fait de l’obstruction parlementaire du camp macroniste et de ses alliés.
Le financement des retraites : entre vraie question et instrumentalisation
Lors de la réforme des retraites de 2023, les arguments martelés par Elisabeth Borne étaient la question financière avec les mêmes arguments pendant des mois selon lesquels une réforme de ce type était indispensable financièrement pour garder un système de retraites par répartition. Debunkée de plusieurs côtés, notamment par les travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR) et de l’économiste Michaël Zemmour, la réforme et les débats autour d’elle font leur grand retour dans la sphère politico-médiatique à l’occasion des textes qui proposent l’abrogation de cette réforme.
La question du financement des retraites est aussi présente dans les débats parlementaires, car dans la Constitution française, selon l’article 40, il est interdit aux députés de créer une « charge supplémentaire » pour les finances publiques. Les groupes parlementaires, s’ils veulent proposer une loi qui augmenterait ces charges, doivent proposer un « gage », c’est-à-dire une autre source de financement pour que le budget de l’État reste à l’équilibre.
Si la question du financement des retraites est légitime, elle est surtout politique. C’est la raison pour laquelle le Rassemblement national avait « gagé » notamment sur l’augmentation de la démographie (ce qui aurait des impacts sur les droits reproductifs). La France insoumise a quant à elle proposé une source de financement par la taxation des grandes entreprises pétrolières et gazières.
L’Obstruction du « socle commun » : nouvelle dérive autoritaire du pouvoir
La niche parlementaire est le seul jour dans l’année (de 9 heures à minuit) où les textes examinés sont décidés par un groupe d’opposition. Chaque groupe à l’Assemblée dispose d’une niche parlementaire par an, c’est donc une occasion importante de mettre en avant ses idées et son programme. Jeudi, six textes étaient mis à la discussion par LFI : l’abrogation de la réforme des retraites, l’introduction du consentement dans la définition pénale de l’agression sexuelle et du viol, le blocage des prix de l’électricité, un moratoire sur les projets autoroutiers, l’écart maximal des rémunérations dans les entreprises et le conditionnement du financement des établissements scolaires privé à la mixité sociale. Généralement, seulement deux ou trois textes sont discutés dans la journée, mais les groupes parlementaires d’opposition peuvent en ajouter davantage pour faire exister des sujets médiatiquement.
Les soutiens au gouvernement, se sachant minoritaires, ont utilisé leur droit d’amendement pour éviter le vote final et faire durer les débats. L’obstruction parlementaire du « socle commun » (Droite Républicaine (LR), Ensemble Pour la République (Renaissance), Modem et Horizons) représentait 987 amendements. Ces amendements d’obstruction étaient des pures provocations, par exemple changer le titre de la loi par « Retraites à 64 ans : parce qu’ignorer la réalité et céder à la pression populiste, c’est ça, être responsable ».
Cette utilisation massive du droit d’amendement lors d’une niche parlementaire est une preuve supplémentaire de la fuite en avant autoritaire du gouvernement. Si le droit d’amendement est garanti par la Constitution, il correspond à un contre-pouvoir pour les groupes d’opposition en cas de très forts désaccords sur un texte. Le fait que les groupes qui soutiennent le gouvernement l’utilise, rompt avec un usage de la 5ᵉ République et en accentue la crise institutionnelle.
Les débats sur les retraites : un reflet de la lutte des classes
Les retraites occupent une place centrale dans nos luttes et revendications, touchant à la fois au temps de travail, aux conditions de travail et aux salaires. La fin de carrière combine toutes ces problématiques, en particulier pour celles et ceux exerçant des métiers marqués par une grande pénibilité, de faibles salaires ou des parcours professionnels discontinus, notamment chez les femmes.
Profitant du temps de parole offert par leurs nombreux amendements, ces députés ont multiplié les provocations envers les travailleurEs, à qui ils ont pris deux années de vie. Brigitte Liso, cheffe d’entreprise et députée macroniste, a ainsi déclaré qu’« à 60 ans, on est encore très en forme, à 62 on l’est aussi, à 64 ça marche encore très bien ». Une autre députée a également déclaré « à 64 ans, tout comme à 60 ans, nous sommes encore dans une bonne forme physique et on ne va pas directement ni а l’Ehpad, ni au cercueil ». Plusieurs députés macronistes ont aussi fait l’éloge du travail en accusant la gauche de « détester les travailleurEs ». Ces déclarations sont ignobles lorsqu’on sait que 23 % des hommes les plus pauvres meurent avant 60 ans et que l’espérance de vie en bonne santé continue de diminuer.
Si de nombreux députés du Nouveau Front populaire ont dénoncé le mépris de classe pour remettre à leur place des bourgeois qui ne connaissent rien au travail, certains ont même montré l’aberration de parler à la place des travailleurEs. C’est le cas de Raphaël Arnault qui a pris la parole pour demander : « Qui a déjà travaillé ici au SMIC ? […] Des gens qui n’ont jamais travaillé nous expliquent ce qu’est le travail […] Plus rien n’a de sens ici ! »
Des tensions fortes durant les débats ont même conduit à une altercation entre un député du Modem voulant s’en prendre physiquement à un député socialiste et un insoumis.
Continuer la lutte contre l’autoritarisme, l’austérité et l’extrême droite
Malgré un appel à un rassemblement à 19 heures aux alentours de l’Assemblée nationale, la pression n’a pas été assez forte pour faire plier les soutiens du gouvernement qui ont empêché l’abrogation. Un rassemblement, préparé en quelques jours, ne peut pas créer le rapport de forces nécessaire ; pour cela, il faudrait une campagne unitaire, durant plusieurs semaines, liant organisations politiques et syndicales. Sans rapport de forces, il est très illusoire de vouloir appliquer le programme du Nouveau Front populaire. À nous de construire des bases de résistance partout pour ne pas laisser notre avenir dans les mains des institutions bourgeoises.
Le RN quant à lui continue de négocier la non-censure du gouvernement lors de la motion de censure qui devrait arriver la semaine prochaine et a déjà réussi à obtenir une réforme sur l’Aide médicale d’État qui aurait des conséquences dramatiques pour les migrantEs et les sans papiers.
À l’heure où la démission du président de la République devient une possibilité concrète, la lutte contre l’extrême droite doit être une priorité pour toutes et tous.
LM