Publié le Mardi 31 octobre 2017 à 10h20.

« Fainéants » de tout le pays, unissons-nous !

« Je serai d’une détermination absolue, je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes. Et je vous demande d’avoir la même détermination. Ne cédez rien, ni aux égoïstes, ni aux pessimistes, ni aux extrémistes. Je ne veux pas que dans quinze ans, un autre président dise “c’est pire encore”. » Ces propos de Macron à Athènes, le 8 septembre dernier, n’étaient ni une bavure ni une maladresse…

C’était une agression délibérée, provocatrice, contre toutes celles et tous ceux qui s’apprêtaient à le contester dans la rue le 12 septembre en même temps qu’une adresse, un encouragement à destination de ses troupes, petits patrons, cadres et maîtrise d’entreprise, qu’il cherche à mobiliser contre les salarié-e-s en flattant leurs prétentions sociales et leur arrivisme.

Macron n’en était pas à son coup d’essai. Entre autres manifestations de son mépris social, il avait déjà traité il y a trois ans d’« illettrées » les ouvrières de Gad, une entreprise bretonne de l’agro-alimentaire. Plus récemment, après son élection, il avait lancé lors de l’inauguration d’une start-up : « Une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien. »

D’un côté l’arrogance, le mépris de classe et les menaces à l’égard des travailleurs, de l’autre, la concertation, la discussion entre « partenaires sociaux » pour la « transformation nécessaire du pays », comme il est dit dans le tract diffusé à large échelle par les militants de la République en Marche. Un dialogue social conçu pour désarmer le mouvement ouvrier et auquel se prêtent avec plus ou moins de complaisance les directions  de toutes les confédérations syndicales, y compris celle de la CGT qui appelait à la mobilisation les 12 et 21 septembre.

Macron cherche à profiter de l’affaiblissement du mouvement ouvrier qui s’ensuit pour s’assurer une victoire sur la rue. Dans la continuité d’un de ses soutiens de l’entre-deux tours de la présidentielle, l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui avait déclaré en 2003 lors du mouvement contre une réforme des retraites du public issue de la concertation avec les partenaires sociaux : « ce n’est pas la rue qui gouverne », en opposant la rue et le « dialogue social ».

 

Une offensive XXL

Trois jours après l’élection de Macron, un des éditorialistes du Monde, Arnaud Leparmentier, écrivait dans sa chronique hebdomadaire intitulée « Les 100 jours de Macron seront décisifs » : « voilà un vade-mecum pour les prochaines semaines : la sécurité, c’est la mort. [Macron avait prononcé cette phrase devant les salariés de Whirlpool, NdlR]. Fini, les prudences de chanoine, ces prétextes à la lâcheté sur le corps social français si malade qu’il ne supporterait aucune réforme. Cet adage, hérité des grandes grèves de 1995, qui scellèrent la capitulation du chiraquisme, paralyse la France depuis vingt ans (…) Au début du siècle, le chancelier allemand Gerhard Schröder est passé en force pour imposer les réformes qui font la prospérité de son pays. Contre l’aile gauche de son parti. Contre les syndicats. La question sociale est brûlante, on l’a vu avec la mobilisation de 2016 contre la timide loi El Khomri. Elle est aussi la mère de toutes les batailles, celle de la lutte contre le chômage, cancer français contre lequel on n’a rien essayé. »

La feuille de route tracée pour Macron par cet éditorialiste zélé était on ne peut plus claire : ne pas céder devant les mobilisations, le mouvement social, passer en force pour imposer les « réformes » sous le prétexte de la lutte contre le chômage. C’est ce que fit le social-démocrate allemand Schröder entre 2002 et 2005, lorsqu’il a imposé les lois Harz malgré d’énormes manifestations, celles « du lundi ». Ces lois obligent les chômeurs allemands à accepter les  « minijobs », des emplois d’une précarité officielle inédite jusqu’alors. Le travailliste Tony Blair allait aussi dans cette voie, à la même époque en Grande-Bretagne, en créant les « contrats zéro heure », généralisés ensuite par Gordon Brown. Le nombre des chômeurs a baissé dans ces deux pays mais le nombre des salarié-e-s pauvres a, lui, explosé. C’est ce fameux « modèle allemand » que nous vantent tous les médias au service du patronat.

Macron s’appuie sur les reculs qui ont été imposés aux travailleurs par les gouvernements précédents pour aller beaucoup plus loin dans l’offensive qu’il mène pour le compte du Medef.

 

Ni de droite ni de gauche, sans masque au service du capital

Grand prince, Macron a invité ses deux prédécesseurs, Sarkozy et Hollande, à célébrer avec lui à l’Elysée, le 17 septembre dernier, l’attribution des JO 2024 à Paris. Une manière de les obliger à lui faire allégeance, de s’affirmer dans leur continuité tout en étant celui qui saurait aller jusqu’au bout. Sarkozy avait été le premier à récuser le clivage droite-gauche en pratiquant « l’ouverture » de son gouvernement à des personnalités de gauche. Hollande, en accord avec Valls, rêvait de liquider le Parti socialiste pour donner naissance à un parti qui n’ait plus de lien avec ses lointaines origines ouvrières. Mais Valls a été doublé sur sa droite par son ministre de l’Economie d’alors, Macron, lui-même introduit au gouvernement par Hollande.

Macron s’est hissé au pouvoir sur les ruines des deux grands partis qui ont alterné ou cohabité au pouvoir depuis 40 ans. Le PS et l’ancienne UMP, LR aujourd’hui, se sont effondrés, usés par le discrédit qu’ils ont accumulé en mettant en œuvre l’austérité contre la population. Le nouveau président a bénéficié aussi de la crainte que Marine Le Pen puisse remporter le deuxième tour, ce qui le fait passer pour un homme aussi moderne et démocratique qu’il est jeune, alors qu’il veut ramener la condition des travailleurs à un siècle en arrière, quand il n’y avait ni droit du travail ni protection sociale.

«  Il ne faut avoir ni dogme ni fétiche [sur le temps de travail], mais du pragmatisme », aimait-il répéter pendant la discussion, en 2015, de la loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », plus connue sous le nom de loi Macron. Déjà, le Wall Street Journal déclarait à son propos, le 8 mars 2015 : « les entreprises [pourront] contourner les règles de travail rigides et négocier directement avec les employés ». Une loi dont les ordonnances ne sont que le prolongement, via la loi Travail qu’il a inspirée.

L’offensive de Macron contre les droits sociaux et démocratiques est d’autant plus brutale que le rapport de forces n’a cessé de se dégrader au détriment des travailleurs, désarmés par les reniements et les capitulations des directions syndicales et des partis de la gauche institutionnelle.

 

Organisons une riposte globale, politique

Face à cette offensive qui se mène sur tous les fronts – augmenter les pouvoirs des patrons face à leurs salarié-e-s de plus en plus précarisé-e-s, en finir avec les statuts dits privilégiés comme ceux de la Fonction publique, déverser toujours plus d’argent public dans les coffres des plus riches, restreindre toutes les dépenses de l’Etat utiles à la population, empiéter sur les droits démocratiques de celle-ci avant de les piétiner –, la seule réponse qui peut être couronnée de succès est une réponse globale, de l’ensemble du monde du travail et de la jeunesse.

Ce ne sont pas seulement toutes les catégories de salariés qui sont attaquées, mais également les chômeurs et les retraités. Les jeunes subissent une sélection aggravée qui les empêche d’accéder aux études qu’il souhaiteraient mener, les coupes claires dans la protection sociale, l’impossibilité de se loger. Une grande partie de la jeunesse refuse l’avenir d’exploitation, de précarité et de pauvreté qu’on lui promet, comme elle l’a montré pendant le mouvement sur la loi Travail. Elle ne supporte pas ce monde de concurrence, de parasitisme financier, où les progrès de la science et des techniques ne servent qu’à permettre aux grandes fortunes de concentrer entre leurs mains toujours plus de richesses au détriment des êtres humains et de la nature, ce monde où la guerre, la famine et les persécutions sont le lot quotidien de millions de femmes et d’hommes et pourraient, dans un avenir relativement proche toucher l’humanité tout entière.

Travailleurs et travailleuses avec ou sans emploi, du privé ou du public, jeunes en lycée, en facultés ou en apprentissage, retraité-e-s, ont toutes et tous intérêt à riposter ensemble. Au lieu de cela, les travailleurs du privé et du public sont appelés en ordre dispersé, les premiers contre les ordonnances les 12 et 21 septembre, les seconds le 10 octobre, les retraité-e-s le 28 septembre. Les directions syndicales craignent l’affrontement avec le gouvernement, la généralisation des mobilisations. Lors du mouvement contre la loi Travail, c’est la mobilisation spontanée du 9 mars, en particulier de la jeunesse, qui avait bousculé les syndicats et les avait contraints à programmer plusieurs journées de mobilisation. Les salariés du transport, particulièrement touchés par les ordonnances qui vont généraliser les relations de gré à gré avec leurs patrons, ont démarré un mouvement pour les refuser, le 18 septembre, à l’appel de la CFDT et de la CFTC, tandis que la CGT et FO du secteur avaient appelé à la grève reconductible à partir du 25 septembre.

Il est impossible de dire ce qu’il adviendra de ces mobilisations, mais c’est par la pression des militants dans les syndicats, des travailleurs et des jeunes eux-mêmes, prenant leurs affaires en main et désireux de contrôler leurs luttes, que pourra se construire l’unité nécessaire de la classe ouvrière et de ses organisations, pour peu que celles-ci soient placées sous le contrôle démocratique du mouvement. Y travailler, y contribuer, c’est en même temps reconstruire une conscience de classe, la conscience que les intérêts des travailleurs et des capitalistes sont inconciliables, la conscience que la classe ouvrière est capable d’exproprier les capitalistes et de faire tourner l’économie pour satisfaire les besoins de tous et toutes.

Galia Trépère