Le constat n’est contesté par personne1 : dans les centrales nucléaires en France, exploitées par EDF, l’essentiel de la maintenance est sous-traité, parfois en cascade, avec un recours à l’intérim.
Comme partout dans la sous-traitance, l’équation pour les employeurs est simple : diminuer le coût des prestations pour décrocher des marchés face à la concurrence, tout en cherchant à réaliser un maximum de profit. Et la solution est partout la même : tirer vers le bas les salaires et augmenter la charge de travail.
Mais à cela s’ajoutent des contraintes spécifiques au nucléaire : une partie de la maintenance ne peut être effectuée que pendant les « arrêts de tranche » des centrales, dont EDF cherche à réduire toujours plus la durée pour des motifs de rentabilité. Au final, c’est donc sur les salariés de la sous-traitance que pèse la pression, au péril parfois de leur sécurité, comme lorsqu’ils renoncent à exercer leur droit de retrait face à un danger grave et imminent2. La conséquence est qu’ils subissent 80 % des expositions aux rayonnements ionisants dans les centrales, un chiffre que EDF ne conteste d’ailleurs pas.
Tout cela rend difficile l’action syndicale dans le milieu de la sous-traitance nucléaire, en faveur d’une amélioration des conditions de travail, du suivi médical des salariés et de la reconnaissance des maladies professionnelles liées aux irradiations et aux possibles contaminations.
C’est ce qu’illustre le cas de Philippe Billard, militant CGT au sein de la société Endel3.
Fin 2006, à l’occasion d’une perte de marché à la centrale EDF de Paluel (Seine-Maritime) au profit d’un concurrent, Polinorsud4, son employeur cherche à l’éloigner dans le Nord, à la centrale EDF de Gravelines. Face à son refus, Endel engage contre lui une longue procédure de licenciement. En effet, l’autorisation de licencier Philippe Billard ayant été refusée par l’inspection du travail, Endel tente en 2007 un recours auprès du ministère du Travail. Mais ce dernier confirme le refus. Endel engage alors en 2009 une procédure devant le tribunal administratif pour obtenir l’annulation de la décision de l’inspection du travail et de la confirmation ministérielle. La société Endel est déboutée, mais fait appel du jugement. Elle vient juste, début 2011, de perdre à nouveau devant la cour administrative d’appel de Versailles. On ignore pour l’instant si elle a engagé un nouveau recours devant le Conseil d’État…
Après plus de quatre ans de procédure, Philippe Billard reste donc salarié de Endel. Mais, en jouant sur l’ambiguïté d’une ordonnance du conseil de prud’hommes de Rouen, son employeur a obtenu en justice le droit de l’affecter dans une agence n’intervenant pas dans le secteur nucléaire5… à la plus grande satisfaction d’EDF ! Philippe est convoqué le 14 juin 2011 à 14h45 à l’audience de la cour d’appel de Rouen pour statuer sur le jugement des prud’hommes du 17 février 2011. Il y attend de nombreux soutiens…
1. Voir par exemple le rapport annuel 2010 de l’Autorité de sûreté nucléaire (p. 337 – disponible sur Internet)
2. Voir le témoignage de Dominique Sanson, soudeur, sur le site Internet de l’association « Santé sous-traitance nucléaire-chimie » (www.sst-nucleaire-chimie…)
3. Endel est une filiale du groupe GDF-Suez. Par l’intermédiaire d’une autre filiale, Electrabel, GDF-Suez possède et exploite sept centrales nucléaires en Belgique.
4. Polinorsud est une filiale à 100 % de la Société des techniques en milieu ionisant (STMI), elle-même détenue conjointement par Areva et Edev (filiale de EDF). Derrière le paravent de la sous-traitance, on retrouve donc les capitaux des grands groupes donneurs d’ordre : GDF-Suez, EDF, Areva…
- Les jugements mentionnés sont consultables sur le site Internet du réseau Sortir du nucléaire.