Publié le Lundi 6 juillet 2015 à 10h45.

Le communisme découle-t-il des revendications ?

Ce débat en trois parties procède d'un découpage que je questionne : les luttes, la prise du pouvoir, le communisme. Ce découpage s'inscrit dans une certaine tradition : les travailleurs partent de leurs revendications pour arriver, par la lutte, jusqu'au communisme.

C'est la logique du « Programme de transition », texte fondateur de la IVème Internationnale.

Dans le même sens, Marx affirme « Pour nous, le communisme n'est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses. » (L'idéologie Allemande).

Mais parallèlement à cette filière théorique se profilent, bien que de manière moins explicite, des idées et des faits qui ne se moulent pas dans cet étapisme.

Rosa Luxembourg  : «La grève générale ne mène pas à la révolution, c’est la révolution qui mène à la grève générale"  : la contestation de l'ordre social tout entier est préalable à la grève générale.

En juin 1936, il y eut d'abord les occupations d'usines, puis les revendications, les congés payés et les conventions collectives. En mai 68, la confrontation de la jeunesse avec l'Etat déclencha la grève générale sans qu'aucune revendication fût posée. La trahison réformiste transforma la grève générale en mouvement revendicatif. En Juin 68, certain(e)s pleuraient en reprenant le travail. Pas parce que les augmentations n'étaient pas suffisantes mais parce qu'il fallait repartir sur la chaîne  : parce qu'on n'avait pas changé les rapports de production.

Tranche de vie  :

En1982, j'étais de ces 400 militants de la LCR qui ont fait «  le tournant vers l'industrie  ». Politiquement il est peu resté, ni au niveau national, ni localement. Non seulement, avec nos tracts à la porte des usines, nous n'avons jamais recruté personne mais mes trois camarades se sont rangés de la révolution.

De1985 à 2008, sur ce site de 500 salariés, deux camarades ont adhéré durablement à la LCR. L'une, c'est à une réunion d'ATTAC que nous nous sommes rendus compte que nous travaillions au même endroit. Adhérente de la CGT sans conviction, très active dans la solidarité avec le peuple Palestinien, pour elle, militer à la LCR était une manière de mettre en relation divers terrains de lutte. Un autre camarade, militant de Ras l'front, affichait dans son bureau du service paye les couvertures antifascistes de Charlie-Hebdo. Nous étions potes au boulot, nous nous rencontrions dans les manifs, mais il ne venait jamais aux réunions syndicales.

À la fondation du NPA changement brusque : le comité compta jusqu'à 44 adhérents, en majorité des syndicalistes de l'industrie chimique. Cela ne dura que quelques mois. Il ne reste plus que moi.

Le syndicat, dans les années 80 était fortement marqué par une tradition PC assez pénible. Les départs en retraite ont fait émerger de nouveaux militants. Nous nous sommes ouverts sur le mouvement des chômeurs, ATTAC, mouvement altermondialiste, enseignants-chercheurs. En interne nous avons gagné de beaux avantages dans le cadre de la rtt, lutté sans succès pour une structure de garde d'enfants, mené un combat efficace contre des licenciements (et gagné sur «  aucun départ non consenti  »). Il n'y a pas de cumul des mandats, de dix à quinze militants se réunissent chaque semaine, une réflexion est entamée sur notre engagement écologique. Bref, un syndicat «  sympa  ».

Lors du mouvement de 2010, si tous les militants avaient déjà quitté le NPA, le réseau constitué continuait à fonctionner de manière informelle. Notre syndicat a été moteur pour impulser une action commune au niveau du secteur  : sur la voie publique, aux portes des usines, nous étions chaque matin quelques dizaines à militer pour la coordination et l'extension du mouvement à partir de la base.

Moralité  :

Jamais aucun militant ne s'est engagé dans un militantisme révolutionnaire ou anticapitaliste comme prolongement de son expérience syndicale. Fût-elle «  lutte de classe  », «  antibureaucratique  », «  non corporatiste  ».

Les engagements politiques se sont fait par adhésion à un projet politique global, existant dans l'espace public, celui de la LCR ou celui du NPA quand il était crédible.

La distribution de tracts à la porte de l'entreprise n'a aucune conséquence sur l'engagement politique de travailleurs. Ça n'est pas dire qu'il ne faut pas le faire, mais ce n'est pas une méthode de construction du parti.

Pour faire le lien avec le début de cette contribution je me référerai à Lénine  : La conscience révolutionnaire doit être apportée de l'extérieur. Daniel Bensaïd a montré que ça ne veut pas dire «  de l'extérieur de la classe ouvrière  » par une avant-garde intellectuelle  : cela signifie de l'extérieur de la lutte économique (Lénine contestait les conceptions politiques trade-unionistes que nous traduirions littéralement par syndicalistes, si nous osions).

Si nous voulons recruter des révolutionnaires, il faudra y aller franco : leur parler de la révolution et du socialisme. Mais qu'avons nous à dire sur la révolution et le socialisme ? Peu ! Voilà notre faiblesse, pas d'abord notre manque d'implantation dans l'industrie.

Être présents dans les entreprises n'est pas un moyen de construire le parti par accumulation d'individus recrutés. Par contre, quand la situation s'y prête, nous recrutons là où nous sommes ; et en cas de crise sociale, la mobilisation organisée des travailleurs fera la différence.

Le parti dont nous avons besoin et qui fera envie n'est pas seulement celui qui poussera les luttes jusqu'au bout, ni seulement celui qui regroupera les anticapitalistes : c'est celui qui saura mettre en relation les luttes entre elles pour leur donner une cohérence autre que revendicative, qui saura faire un pont entre les combats d'aujourd'hui et le projet de société.

Gérard Vaysse (Lyon)