« Si tu es Noir ou Arabe, et si, en plus tu es jeune, alors tu es un délinquant potentiel »... Voilà le sens des contrôles au faciès opérés par la police. Aussi, ils sont treize à attaquer l’État et le ministère de l’Intérieur devant les tribunaux pour contrôles d’identité discriminatoires. Ils passaient en appel ce 25 février à l’initiative de l’association « Stop le contrôle au faciès » et de l’ONG Open Society Justice Initiative.
En faisant le buzz en s’attaquant directement à l’État, le premier intérêt de cette démarche c’est de rendre visible la discrimination.
Ouvrir les yeuxLa plupart des Blancs « ne voient pas » cette réalité. D’abord parce que les contrôles au faciès sont plus évidents à Barbès ou à Saint-Denis que dans le centre de Nantes ou dans un village de la Creuse. Mais, surtout, ils sont plus évidents pour les Noirs et les Arabes que pour les Blancs rarement contrôlés. Combien, qui passent, pressés, les barrières du métro et n’ont jamais été contrôlés, remarquent les policiers qui s’adressent à une personne et l’entraînent sur le côté ?Au préjugé raciste qui est à la base du contrôle au faciès s’ajoute le soupçon sur la réalité même des contrôles au faciès : du « Ils exagèrent » à « s’ils n’avaient rien à se reprocher, ils ne craindraient rien »... Une illustration des moyens par lesquels le racisme institutionnel n’est pas le simple reflet d’un racisme « populaire » mais contribue à le construire.Et pourtant la réalité des contrôles au faciès est documentée. Une étude faite par des chercheurs du CNRS et parue en 2009 a démontré qu’à Paris, Noirs et Arabes ont respectivement 6 et 8 fois plus de chances de se faire contrôler que des Blancs ! Et à cela se surimpose un facteur social, car il y a bien un « look » du contrôlé, bien plus « jeune à capuche » qu’adulte en costume... En septembre 2012, cela était confirmé par une enquête de deux journalistes de Libération faite à la gare du Nord à Paris, ainsi que par des documents filmés par l’association « Stop le contrôle au faciès ».
Une logique d’ÉtatLe deuxième intérêt de la démarche est qu’elle s’attaque à l’État, pointant ainsi l’aspect politique du racisme. S’il est indéniable que la police est raciste, ce racisme policier est mis au service d’une politique de l’État. D’ailleurs, le premier jugement, qui avait débouté les plaignants en octobre 2012, rend paradoxalement explicite cette politique, puisque le tribunal a considéré que les policiers agissaient dans le cadre de la loi. En appel, à l’avocat du Défenseur des droits, qui, cette fois, soutenait les plaignants, le procureur a conseillé de s’adresser plutôt au législateur. L’association « Stop le contrôle au faciès » revendique que les policiers soient obligés de délivrer des récépissés à chaque contrôle.Mais cela va encore plus loin. Pour ne donner qu’un exemple, la criminalisation des sans-papiers et migrants permet aux procureurs de délivrer des réquisitions permettant à la police des opérations de contrôle qui, visant les migrants sans-papiers, sont, en pratique, des ordres légaux de contrôles au faciès. La nouvelle loi sur l’immigration en préparation prévoit des pouvoirs renforcés de contrôle aux préfectures.Racisme et contrôle socialLes contrôles au faciès sont une conséquence d’une logique de contrôle social des quartiers populaires et des populations les plus pauvres victimes d’un véritable harcèlement policier. Cette logique engendre elle-même les maux qu’elle prétend combattre. Le harcèlement policier ne vise finalement pas la délinquance. Les interpellations, majoritairement pour outrage ou rébellion, sont plutôt le produit des pratiques policières.Ajoutons à cela que les crimes policiers ne sont pas des bavures mais les conséquences de cette violence de basse intensité. Renforçant le racisme des policiers, ces pratiques favorisent, à l’opposé, les trajectoires qui mènent certains jeunes au terrorisme... qui, en retour, justifie le renforcement des politiques sécuritaires.D’où l’enjeu de résistances collectives pour briser ce cercle vicieux, contre la police et contre les politiques sécuritaires et racistes de l’État.
Denis Godard