« Le passeport est la partie la plus noble de l’homme. D’ailleurs, un passeport ne se fabrique pas aussi simplement qu’un homme. On peut faire un homme n’importe où, le plus étourdiment du monde et sans motif raisonnable ; un passeport, jamais. Aussi reconnaît-on la valeur d’un bon passeport, tandis que la valeur d’un homme, si grande qu’elle soit, n’est pas forcément reconnue. » Ainsi s’exprime Kalle, l’un des deux protagonistes des Dialogues d’exilés de Bertolt Brecht, rédigés par l’auteur allemand au début des années 1940, alors qu’il était lui-même en exil.
Des lignes qui trouvent aujourd’hui une résonance particulière, à l’heure où un ministre fasciste italien salue comme une victoire le fait de renvoyer en pleine mer un bateau d’exiléEs, où l’on criminalise, de la Hongrie à la France, l’assistance à celles et ceux qui fuient la guerre et la misère, et où l’Europe tout entière se mure derrière des barbelés et construit toujours plus de camps pour « trier » les migrantEs.
Des lignes qui trouvent une résonance particulière à l’heure où aux États-Unis, en à peine un mois, plus de 2 300 enfants de migrantEs ont été séparés de leurs parents, où une partie de ces enfants ont été enfermés dans des cages, et où l’armée US propose d’utiliser des bases désaffectées pour construire des camps pour les migrantEs, dont l’un pourrait accueillir près de 50 000 personnes près de San Francisco, en Californie.
La Californie fut précisément, à partir de 1941, la terre d’accueil de Bertolt Brecht, où il acheva la rédaction de ses Dialogues d’exilés : une ruse de l’histoire ?
L’histoire tousse. L’histoire crache du sang. L’histoire a de nouveau chopé un sale virus. Un virus contagieux, qui se répand à grande vitesse au sein du petit club des pays les plus riches, lesquels rivalisent de cynisme et de morbide inventivité pour justifier l’injustifiable. Un virus mortel, qui tue des milliers d’exiléEs et en renvoie des dizaines, des centaines de milliers d’autres à la mort, alors que les richesses débordent et qu’il y aurait largement de quoi accueillir tout le monde.
Mais l’histoire n’est pas écrite. L’histoire n’est pas finie. Et la lutte continue. En solidarité avec les migrantEs. Contre les assassins qui nous gouvernent. Contre leur monde barbare. S’il est combattu, le virus peut être vaincu. Il doit être vaincu. En se souvenant de l’exilé Brecht : « Ceux qui se battent peuvent perdre ; ceux qui ne se battent pas ont déjà perdu. »
Julien Salingue