Le 20 juillet dernier, dans une grande discrétion (période estivale aidant), a été présenté à l’Assemblée nationale en « procédure accélérée » le projet de loi « relatif aux droits des étrangers » adopté en conseil des ministres... le 23 juillet 2014 !
Ce retard n’est pas seulement dû à la hiérarchie des préoccupations du pouvoir. Loi Macron et surveillance « antiterroriste » d’abord ! Le gouvernement apparaissait en effet coincé entre l’affichage mensonger d’un objectif de « sécurisation des parcours » des migrantEs, et une orientation fondamentale consistant à ne surtout pas rompre, en ce domaine comme en d’autres, avec les politiques antérieures, voire à avancer encore d’une case dans le volet répressif. Toujours le même casse-tête, en somme. Avec à la clé quelques inventions croquignolesques pour décliner au nom de « l’équilibre » l’éternel diptyque « humanité et fermeté »...
D’où une configuration assez classique : un panachage entre quelques avancées relativement marginales, des dispositions aux effets pervers plus ou moins calculés, et des articles proprement infâmes.
Des avancées ?
Mesure phare du projet et parfait exemple de trompe-l’œil parmi d’autres : la création d’une carte de 4 ans. Nul doute que celle-ci aurait représenté une avancée... si la délivrance de ce titre avait été généralisée, et si dans le même temps avait été rétabli, à l’expiration de ce délai, l’accès de plein droit, donc automatique, à la carte de résident. Mais c’est loin d’être le cas : non seulement, nombre de personnes continueront de se voir attribuer des titres d’un an, parfois de deux ans, avec possibles allers-retours entre les différents titres, mais l’octroi d’un titre pluri-annuel risque de siphonner l’accès à ce seul titre véritablement sécurisant : la carte de 10 ans, dont la délivrance demeurera soumise à des conditions de ressources et largement discrétionnaire.
L’espace manque ici pour passer au crible d’un examen rigoureux les très nombreux articles aux effets négatifs de la loi adoptée en première lecture. Il faudrait parler de ce qui ne change pas : tout d’abord du fonctionnement toujours à plein régime de la machine à fabriquer des sans-papiers, au nom d’une immigration choisie qui ne connaît comme évolution que de ne plus dire son nom ; le maintien à un niveau exorbitant de taxes pouvant atteindre 600 euros pour l’obtention d’une carte d’un an (dont 50 euros pour le dépôt de dossier, non remboursés en cas de refus !) ; la persistance obstinée d’une politique du chiffre en matière d’enfermement et d’expulsion, sans lésiner sur les méthodes.
Un article scélérat
Pour s’en tenir à quelques exemples, on pourrait évoquer le transfert de l’évaluation de l’état de santé des personnes migrantes... à des médecins dépendant du ministère de l’Intérieur, ou la restriction des recours contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF) déposés par les personnes détenues. Et en dépit des promesses du candidat Hollande, c’est à l’initiative d’une députée socialiste qu’ont été encadrées, ce qui veut dire autorisées, les conditions d’enfermement des enfants... Quant au régime d’exception subi par les étrangers des départements d’outre-mer, notamment en Guyane et à Mayotte, bien qu’ayant fait l’objet d’une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme, il demeure pour l’essentiel en place afin de pouvoir enfermer et expulser à tour de bras.
Dans ce fatras de mesures indignes. la palme revient certainement à l’article 8 qui indique que « l’étranger doit pouvoir justifier à tout moment qu’il continue de satisfaire aux conditions fixées par la délivrance de sa carte et répondre le cas échéant aux contrôles et convocations du préfet aux fins de vérification », et que lorsqu’il cesse de remplir ces conditions « ou ne défère pas aux mesures de vérifications menées par le préfet, sa carte de séjour peut lui être retirée ou son renouvellement refusé ». Concrètement, cela signifie plusieurs choses : au prix d’un contrôle continu, le droit au séjour pourra être rétroactivement dénié ; les préfets pourront aller chercher auprès des écoles, hôpitaux, banques, fournisseurs d’énergie et autres les renseignements nécessaires à leurs « vérifications » ; à leur corps défendant (ou non), les agents seront appelés à la délation. Un article scélérat s’il en est !
Donc, pas d’erreur, s’il y a une philosophie dans ce projet, elle est dans le cap maintenu par une politique qui fait de l’étranger un paria. La préservation des intérêts de la classe dominante et la politique de la race sont toujours aussi bien articulées.
François Brun