Publié le Jeudi 6 septembre 2018 à 11h56.

Intervention d’Alpha, mineur isolé et « chercheur de la paix », lors de l’université d'été du NPA

Alpha est mineur étranger et membre de Faratanin Fraternité, émission sur Radio Campus Clermont-Ferrand. Il a participé au forum de l'université d'été du NPA, organisé autour du thème « Ouvrez les fontières ».

Je suis un mineur isolé de Clermont-Ferrand, comme mes potes qui sont là. Mais moi je ne préfère pas qu’on m’appelle mineur isolé ou migrant. J’aime qu’on nous appelle des Chercheurs de la Paix. Nous sommes venus ici pour chercher la paix.

Avant de traverser la Méditerranée on est des marchandises

Dans nos différents pays, on n’a pas la paix dans nos mains, on a la paix dans nos yeux. C’est pour ça que nous partons pour des destinations inconnues, nous entamons des déplacements hors de choix. Certains se réfugient en France, d’autres en Allemagne, en Suisse, en Suède. 

Avant de traverser la Méditerranée on est des marchandises. La marchandise la plus importante en Libye, c’est nous les chercheurs de la paix. Il y a même des Libyens qui disent, lorsque nous sommes dans leur camion, qu’ils transportent des poussins. 

Une fois sur le territoire libyen, avant tout c’est le désert. Ils vous fouillent un à un. Ils récupèrent tout ce que vous avez : les bons habits, les téléphones, de l’argent, même un dinar, ils ne vous le laissent pas. Ce jour-là vous passez la nuit là-bas, la journée suivante aussi. Vous n’avez plus confiance en rien, vous commencez à perdre l’espoir. Après un ou deux jours, des personnes du même réseau viennent vous chercher. Là, certains sont vendus, d’autres sont mis en prison, souvent sans nourriture et c’est avec le fusil qu’ils vous parlent. Celui qui refuse d’obéir, on le tue, ou on le transforme en handicapé en le frappant avec des fouets ou des bâtons. Qu’est-ce qu’ils font avec ceux comme moi, tout maigres ou très jeunes ? Ils te demandent le contact de tes parents. Si tu le donnes, ils appellent, souvent en vidéo, et demandent de l’argent, si l’argent ne vient pas, on te tue. Et si tu n’as plus de parents, ils te frappent à mort et te changent de prison. Les femmes sont celles qui n’échappent à rien. Ils les violent et nous obligent aussi à les violer. 

À Zabrata, dans une prison fermée surnommée Campo Salle, j’ai fait six jours sans manger et l’eau que je buvais était salée. J’ai vu de mes propres yeux des plus jeunes que moi affamés, obligés de se prostituer pour un morceau de pain. 

Et je vous jure qu’à l’instant où nous parlons, des innocents sont en train de vivre l’enfer en Libye, au Maroc, en Algérie ou à la frontière nigérienne. 

Qui traverse le désert avec ses papiers ? Personne n’a ses papiers.

Après ça on se retrouve à la porte de l’eldorado, comme on dit chez nous. On nous montre dans les télés, il faut partir en Europe, c’est là-bas que se trouve la paix. Et c’est vrai. Il y a la paix ici. Mais nous, on n’y a pas droit. 

En Italie, une fois entré là-bas, ce sont les empreintes digitales obligatoires, que tu sois mineur ou majeur. Après tu ne peux pas rester, tu ne comprends pas la langue. Tu pars en France. 

Une fois entré, tu vas à l’Aide sociale à l’enfance. Au lieu de te demander quels sont tes soucis, est ce que tu as des traumatismes, ils te demandent tes papiers : ton extrait de naissance, ton jugement supplétif ou ton passeport. Qui traverse le désert avec ses papiers ? Personne n’a ses papiers. L’Aide sociale à l’enfance le sait très bien. Ils te demandent de faire un entretien et de raconter une histoire. Ils s’en foutent de l’histoire, tu racontes n’importe quelle histoire. Après qu’est-ce qu’ils disent ? Par exemple moi en sortant de l’entretien avec l’aide social à l’enfance, ils n’ont pas reconnu ma minorité parce que je suis grand. Alors si c’est vrai que c’est la taille qui compte, je suis le plus âgé de la salle, je mesure 1 m 89. 

À Clermont-Ferrand, nous sommes dans un squat, nous les mineurs qu’on nomme isolés. C’est vrai que nous sommes isolés, surtout maintenant. Parce que le propriétaire du squat là où nous sommes est parti au tribunal de Clermont-Ferrand. Le juge des référés n’a pas statué, estimant le droit au logement aussi important que le droit à la propriété. Les propriétaires ont déposé une autre plainte, au tribunal de Riom. Le juge du tribunal de Riom a ordonné l’expulsion du squat avant le 4 septembre. L’espoir nous manque maintenant. 

Si nous ne sommes pas formés aujourd’hui, qu’est-ce qu’on va devenir ?

Au squat, nous passons toute la journée à dormir là où nous sommes parce qu’on n’a pas d’activité. On ne peut pas aller à l’école. Certains ont fait des mois et des mois. Moi j’ai fait 10 mois. Depuis le 1er novembre je suis à Clermont-Ferrand, je ne suis toujours pas scolarisé, alors que mon but est de continuer des études. Et c’est le but des autres aussi. Nous voulons aller à l’école, comme les autres. On n’attend pas d’être reconnus mineurs seulement. On veut faire une formation aussi et construire notre avenir. Nous serons de futurs pères de famille, nous serons de futurs responsables aussi. Si nous ne sommes pas formés aujourd’hui, qu’est-ce qu’on va devenir ? On va commencer à faire de la délinquance. 

Si tu es chercheur de la paix en France, il ne faut pas que tu tombes malades. Parce que si tu es malade, tu risques de mourir. Ça a été montré avec un ami mineur isolé. Il poussait une porte. La vitre s’est cassée. Son doigt a été blessé. Rapidement les pompiers l’ont emmené à l’hôpital. Le docteur a dit qu’il fallait l’opérer tout de suite mais les infirmières ont appelé la directrice qui a exigé l’accord du juge à l’enfance ou du procureur. Ça a mis deux jours pour avoir l’accord. En deux jours, sa main s’est infectée. La blessure a eu lieu le 8 août et il n’est toujours pas remis. 

Ceux qui, du côté des institutions, sont supposés nous accompagner ici, sont en train de nous mettre dans un trou à rats, comme ce qui s’est passé en Libye, alors que nous ne voulons que la paix. Nous somme des chercheurs de la paix.