Publié le Samedi 26 octobre 2019 à 02h06.

Macron en croisade anti-immigréEs à Mayotte

Après un nouveau débat parlementaire sur les soi-disant abus que feraient les étrangerEs des maigres droits que la France « généreuse » leur accorde et après une violente campagne d’Etat islamophobe, avec appel à la délation contre les musulmanEs (ou prétenduEs telEs), Macron utilise sa visite à Mayotte pour nous servir en boucle son discours haineux, martelant l’équation empruntée à l’extrême droite : immigration = délinquance et insécurité.

Après un atterrissage compromis par la grève des pompiers solidaires de leurs collègues gazés par les flics à Paris, Macron s’est empressé d’aller parader sur un bateau de la PAF (Police aux frontières) entouré de onze navires et un hélicoptère – une véritable flotte militaire mobilisée pour l’ « Opération Shikandra » : un renforcement des contrôles maritimes et terrestres avec appui militaire. Mais pour quels ennemis ? Les migrantEs, la plupart comorienEs, qui fuient la misère de leurs îles, dont le colonialisme français est responsable, et tentent d’atteindre Mayotte sur de frêles embarcations, les kwassa-kwassa, qui furent l’objet d’une blague raciste de Macron au début de son mandat : « Le kwassa-kwassa pêche peu. Il amène du Comorien » ! Un déploiement inouï de forces qui annonce encore plus de victimes  dans le bras de mer qui, dans l’océan Indien, sépare les Comores de Mayotte et où 20 000 personnes depuis janvier 1995 (date de l’instauration du visa Balladur) se sont noyées. Le crime colonial perdure…

Les commentaires médiatiques de ce voyage présidentiel se complaisent à souligner que 45 % de la population de Mayotte est constituée d’étrangerEs… dont 99 % sont des ComorienEs ! Mais en quoi sont-ils/elles des étrangerEs ? Ce sont les ComorienEs qui sont légitimes à Mayotte, pas l’impérialisme français qui en 1976 a mené une opération de brigandage colonialiste, après une grossière parodie de référendum, en imposant à l’archipel des Comores la séparation de Mayotte, séparant les familles et conduisant à des drames terribles. Une opération condamnée à de nombreuses reprises par l’ONU mais superbement ignorée par les gouvernements français successifs qui ont continué impunément leurs menées impérialistes pour préserver leurs intérêts économiques dans l’océan Indien, n’ayant de cesse de déstabiliser et de réduire à la misère les autres îles des Comores. Ainsi, l’idée reçue, reprise sans vergogne et sans aucune réserve par l’ensemble des médias métropolitains, relative à la maternité de Mayotte où les femmes comoriennes viendraient  y accoucher « pour que leur enfant ait la nationalité française ». Bien sûr, on se garde bien de souligner que la venue de ces femmes à la maternité de Mayotte est due à l’absence totale d’infrastructures hospitalière sur les îles sœurs voisines. 

Du racisme d’Etat à la chasse aux migrantEs

« La France c’est la sécurité », a déclaré Macron aux habitantEs de Mayotte, prenant bien soin de souligner qu’à Mayotte « on attend des gestes forts […] un vrai plan de lutte contre l’immigration clandestine » et se vantant  que les reconduites à la frontière aient « fortement augmenté » atteignant « quasiment 24 000 depuis le début de l’année, contre 9 800 » en 2018. Une grossière opération de diversion et de division dans ce « département » considéré comme appartenant à la France et qui en est le plus pauvre, avec une population à 84 % sous le seuil de pauvreté !

Il y a deux ans, Mayotte était secouée par des mouvements sociaux importants contre la misère. Depuis, sans aucune mesure significative de la part de l’Etat, une situation explosive perdure, due à un abandon quasi généralisé des services publics (santé, éducation…), un délabrement des services sociaux et un déficit abyssal d’investissements. Une situation dramatique dont les migrantEs sont désignéEs responsables par la politique discriminatoire des institutions françaises à leur égard. Une politique du bouc émissaire qui exacerbe la concurrence des pauvres contre les plus pauvres, pour se partager les maigres miettes concédées par l’Etat français, et dont l’extrême droite tire tous les fruits.

Ainsi, en 2017, encouragée par la politique xénophobe officielle et par la passivité des « forces de l’ordre », une partie de la population montée contre les migrantEs s’est livrée à des « décasages » -  des expulsions de ComorienEs de leur habitation, détruite, brûlée. Une logique de pogroms qui pourraient bien se reproduire. Autre exemple de cette tension entretenue, le blocage pendant plus de huit mois en 2018 du service des étrangers de la préfecture de Mayotte par des collectifs anti-migrants. N’y ayant plus accès, les personnes souhaitant demander l’asile ou faire valoir leur droit à mener une vie privée et familiale normale à Mayotte ont été jetées dans la plus totale précarité : perte d’emploi, d’affiliation à la Sécurité sociale, impossibilité de poursuivre les études, interpellations par la police et expulsions…

Un laboratoire des politiques antisociales, racistes et coloniales 

Pour masquer sa politique désastreuse dans ce territoire, l’Etat français a trouvé une réponse toute simple : expulser plus ! Mayotte est pourtant le champion toutes catégories des expulsions. Quand, en 2017, environ 10 000 personnes étrangères maintenues dans les CRA (Centres de rétention administrative) étaient expulsées hors de l’hexagone, on comptait plus de 16 000 expulsées de Mayotte : 60% de plus qu’en métropole, alors que l’île abrite moins de 0,4 % de la population française ! Selon La Cimade, en 2019 l’objectif a été fixé à 30 000 « reconduites à la frontière » et on assiste, depuis la réouverture de la préfecture de Mayotte, à une augmentation effrénée des interpellations et des expulsions, et de l’enfermement en CRA : 16 496 personnes placées en rétention dont 1221 mineurEs.

Comment ce « département » parvient-il à un tel taux ? En usant et abusant de mesures dérogatoires au droit commun français, en bafouant les lois et règlements qui y restent applicables, en faisant fi des décisions judiciaires.

Mayotte comme tous les territoires d’outre-mer est en effet soumis à un régime complètement dérogatoire au regard des lois déjà bien répressives concernant les étrangerEs en métropole. Sur ce territoire, pas d’AME (Aide médicale d’Etat), pas de CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile), pas d’ADA (Allocation de demandeurs d’asile), des expulsions expéditives sans présentation au juge des libertés, remise en question du droit du sol, restriction sur le droit au RSA, etc.

Toute une série de mesures discriminatoires expérimentées dans ces colonies sur fond de précarité et de misère mais que les pouvoirs publics verraient bien élargir en métropole. En témoigne les menaces sur l’AME, sur les cartes de l’ADA, les zones de non-droit que sont les zones d’attente aux frontières (ports et aéroports sur le territoire métropolitain), sans parler de l’impunité grandissante de la police et des gendarmes.

Contrairement au discours gouvernemental, l’insécurité ce ne sont pas les migrantEs mais bien le colonialisme français ! Il faut en finir avec la présence de « notre » impérialisme dans cette région ! En finir avec les logiques d’exception et la domination coloniale pour permettre le développement conjoint de tout l’archipel des Comores. Il faut ouvrir les frontières, abolir le « visa Balladur » et rétablir la libre circulation et installation des populations sur un territoire qui leur appartient ! 

Josie Boucher