Publié le Dimanche 19 octobre 2025 à 09h00.

Kanaky : « Nous vous demandons de rejeter le report des élections provinciales et la modification du corps électoral »

Lettre ouverte du FLNKS aux parlementaires de la République française. Le 12 octobre, le président du FLNKS, Christian Tein, a écrit aux parlementaires français pour leur demander de rejeter la loi organique relative au report des élections provinciales et la modification du corps électoral provincial. Nous en publions de larges extraits. À lire en intégralité en document attaché.

« Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) s’adresse à vous avec gravité. L’avenir de la Nouvelle-Calédonie ne peut se jouer une nouvelle fois sur la base d’informations tronquées, de lectures biaisées et de décisions précipitées prises à Paris, loin de la réalité du pays.

Nous vous demandons solennellement de rejeter la proposition de loi organique relative au report des élections provinciales et la modification du corps électoral provincial.

Ce texte, en apparence technique, serait en réalité une régression politique majeure : il mettrait fin unilatéralement au processus de décolonisation engagé par l’accord de Nouméa et reconnu par la France, en contradiction avec le droit international et des engagements solennels de la République.

Avant les événements tragiques de mai 2024, les informations transmises au Parlement par le gouvernement et le député non-­indépendantiste étaient erronées. [...]

Aujourd’hui encore, certains continuent d’affirmer que le mouvement indépendantiste est affaibli, que le peuple kanak serait résigné ou divisé. C’est une élucubration. Les consultations référendaires locales, les réalités de terrain, les mobilisations de 2024 et le résultat des élections législatives de 2024 (10 226 voix d’écart en faveur des deux candidats indépendantistes sur les deux circonscriptions de la NC) ont démontré qu’une écrasante majorité de notre peuple aspire à l’indépendance, dans un cadre pacifique et négocié. Le 24 septembre 2025, le peuple kanak, par la voix du FLNKS, des représentants traditionnels et coutumiers autochtones, des partis politiques nationalistes, de l’EPKNC (Église protestante de Kanaky - Nouvelle-Calédonie) et des forces vives ont proclamé avec détermination leur volonté de voir accéder le pays de leurs ancêtres à la pleine souveraineté.

Non, nous ne sommes pas des extrémistes. L’extrémisme c’est plutôt cet entêtement incessant de l’État français et des non-­indépendantistes à maintenir une domination coloniale archaïque et à se désengager coûte que coûte du dessein de l’accord de Nouméa.

Dans la culture kanak, chacun est libre de ses opinions, et la recherche du consensus guide nos décisions collectives. Nous avons toujours su tendre la main et reconnaître l’autre, comme à Nainville-les-Roches en 1983, lorsque nous, représentants du peuple kanak, avons reconnu les victimes de l’histoire comme nos propres frères et avons partagé avec eux notre droit à l’auto­détermination.

Mais nous ne pouvons accepter que la parole donnée à notre peuple en voie de décolonisation soit effacée par une loi votée à Paris.
Cette volonté de tendre la main, de construire ensemble malgré les blessures du passé, a trouvé son prolongement dans les Accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, qui constituent un engagement moral de la République française, pris par le peuple français, envers le peuple kanak, puisque les Français ont voté par référendum. Ils ont fixé une trajectoire claire vers la reconnaissance du peuple premier et une communauté de destin dans la pleine souveraineté.

Après trente-sept ans de paix relative, il est temps de sortir de ce processus par le haut, avec l’accompagnement bienveillant de la France.

Or, le projet de Bougival s’inscrit à contre-courant de cet esprit. [...] Ce texte ne dispose d’aucune légitimité politique et ne peut servir de base à la poursuite du dialogue avec l’État.

De surcroît, le 45ᵉ congrès extra­ordinaire du FLNKS, réuni en août 2025, s’est démocratiquement prononcé contre le projet de Bougival. Notre position est claire et constante : nous ne voulons pas d’un troisième accord “dans la France”. [...] Mais le temps de la promesse est révolu : il faut désormais achever le processus de décolonisation par la pleine émancipation tel que prévu par le point 5 de l’accord de Nouméa.

C’est pourquoi nous avions accepté de continuer à discuter de la proposition de l’État à Déva, fondée sur une souveraineté partagée avec la France, et non “dans la France”. Cette formule, équilibrée et ambitieuse, était une base de négociation satisfaisante pour achever le processus de décolonisation par la pleine souveraineté. Or, le projet de Bougival, lui, referme la porte de l’émancipation et de l’indépendance politique. Il substitue à la décolonisation un rattachement administratif, contraire à l’esprit des Accords et aux principes du droit international. Et tandis que ce projet demeure suspendu, l’État cherche à en imposer les effets en repoussant les élections provinciales dans la négation de l’intérêt des populations intéressées et de la démocratie, pourtant chère à la République française.

Pour justifier le report des élections provinciales, l’État invoque deux raisons : la nécessité d’ouvrir le corps électoral et une supposée menace pour la paix civile. Aucune de ces justifications ne résiste à l’examen.

Sur le plan juridique, le Conseil constitutionnel, dans sa décision récente, a confirmé la validité du corps électoral gelé et sa conformité aux principes constitutionnels ainsi qu’à l’esprit de l’Accord de Nouméa. [...]

Sur le plan politique, le constat est tout aussi clair. Depuis des mois, le gouvernement et certains responsables politiques affirment qu’il serait « dangereux » de les organiser en fin d’année. C’est une contre-vérité. [...]

Les élections permettront à chacunE d’exprimer son opinion dans les urnes plutôt que dans la rue. C’est le principe même du jeu démocratique : un régulateur social qui évite la violence physique et le chaos. À l’inverse, chaque report nourrit la frustration, entretient l’instabilité et fragilise la paix civile.
[...]

Pour éviter que le pays ne revive ces drames, une seule voie est possible : une issue politique négociée avec le FLNKS pour l’indépendance. Nous ne refusons pas le dialogue, nous le revendiquons. Mais après tant de fourberies, de promesses détournées et de passages en force, il est temps de reprendre la discussion sur des bases claires, fondées sur la vérité, la confiance, le respect mutuel et sur l’accession à la pleine souveraineté.

Nous demandons que la France reste fidèle à l’esprit des Accords et qu’elle accompagne, sans tutelle ni contrainte, la naissance d’un État souverain : la République de Kanaky.

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

La responsabilité du Parlement français est aujourd’hui engagée et l’avenir de la Nouvelle-Calédonie dépend de votre discernement et de votre lucidité à accompagner le processus de décolonisation dans le respect de la parole de l’État faite au peuple kanak pour la pleine émancipation.

La France a su, en 1988 comme en 1998, choisir la voie du courage politique et du respect des peuples à la libre détermination. En 2025, la France, pays de la Déclaration des droits de l’homme, doit à nouveau faire ce choix : celui de la fidélité à sa parole, à l’héritage des Lumières et aux valeurs républicaines qui fondent sa devise : liberté, égalité, fraternité.

Refuser le passage en force et maintenir les élections provinciales en novembre, c’est préserver la paix et rouvrir la voie d’un avenir serein pour nos populations et pour de nouvelles relations avec la France. Aussi, Mesdames et Messieurs les parlementaires, je vous demande de tout mettre en œuvre pour que ce texte soit rejeté.
Il est encore temps. »

Christian Tein