Publié le Vendredi 23 octobre 2015 à 08h56.

Migrant-E-s : La bombe qui n’a pas explosé

L’information a fait la une du Monde... et puis ça s’est arrêté là. Pourtant, le récent rapport de l’INSEE sur les flux migratoires en France tombe en plein dans le mille en ces temps où tous nos dirigeants semblent se soucier de cette question.

Ce rapport est une bombe tant il va à l’encontre de tous les présupposés qui fondent les discours et les politiques de tous les partis et gouvernements. Car il ne se satisfait pas du calcul des entrées migratoires en France, et analyse le solde migratoire, c’est-à-dire la différence entre les entrées et les sorties.

Cela devrait pourtant sembler une évidence : la migration n’est pas un phénomène à sens unique. D’une part parce que les immigréEs ne restent pas tous et toutes définitivement en France. D’autre part parce que des FrançaiSEs migrent aussi. Mais mettre l’accent sur les entrées est évidemment hautement idéologique : cela nourrit tous les discours racistes sur une invasion supposée et fait oublier que les Français sont aussi des migrantEs, mieux accueillis dans d’autres pays que les étrangers ne le sont en France...

Du coup, les nouveaux chiffres publiés par l’INSEE sur les flux migratoires surprendront même les antiracistes. Car depuis 2006, ce solde migratoire présente deux caractéristiques : il diminue régulièrement, et il est devenu presque nul ! En 2006, il y avait 112 000 entrées de plus que de sorties. En 2013, le chiffre est tombé de 33 000. Cette année, 332 000 personnes sont arrivées en France, et 299 000 l’ont quittée. Et pour tordre le coup à un autre stéréotype raciste, ajoutons que pour près de la moitié, l’immigration en France provient d’autres pays européens... et pour moins du tiers d’Afrique.

Les mythes racistes détruits

L’explication est assez simple. La tendance est à l’augmentation de la mobilité géographique : on ne vient pas seulement en France, on la quitte aussi. Le phénomène est surtout important pour les jeunes adultes (90 % des FrançaiSEs partant à l’étranger ont moins de 30 ans). Alors que les entrées sont plutôt stables, ce sont les départs qui ont augmenté, notamment de FrançaiSEs nés en France (plus de 70 % du total) mais aussi dans une proportion moindre des étrangerEs. Du coup, l’INSEE estime à 3,5 millions le nombre de FrançaiSEs vivant à l’étranger : ces migrantEs dont on ne parle jamais...

Le phénomène est le même pour l’Union européenne, malgré les disparités entre les pays (le solde a augmenté pour l’Allemagne alors qu’il est devenu négatif pour l’Espagne). Globalement, le solde y a été divisé par deux entre 2006 et 2013 : si le nombre d’immigrantEs a augmenté de 208 000, le nombre de départs a lui augmenté de 802 000 !

Outre donc le fait que ce rapport détruit une nouvelle fois les mythes sur l’afflux massif d’étrangerEs en France, il est aussi une claire dénonciation du système des frontières. Paradoxalement, elles sont un obstacle à la régulation des flux migratoires. Parce qu’il est difficile d’entrer en Europe, les frontières fixent les migrantEs qui y sont entrés. Le système de fermeture des frontières est hautement discriminatoire : il permet la quasi-libre circulation pour les populations du Nord, mais l’interdit pour les populations du Sud. Au prix de milliers de morts chaque année...

Voilà pourquoi la bombe n’a pas explosé. Il existe un consensus dominant, entretenu par tous les principaux partis, pour maintenir le système des frontières. Quitte à mentir sur la réalité, quitte à tuer. Gageons que la prochaine campagne des régionales l’illustrera. C’est à nous, au côté des migrantEs, réfugiéEs et sans-papiers, de faire entendre une autre voix.

Denis Godard