Le cadavre d’Aylan sur une plage turque, c’était seulement un mois avant que Angela Merkel et François Hollande ne fassent leurs déclarations au Parlement européen mercredi 7 octobre.
Angela Merkel y a parlé de procédures du droit d’asile devenues obsolètes, et de la nécessité de plus d’Europe. François Hollande a parlé de valeurs de solidarité... Mais au moment où tous les médias commentaient ces discours « historiques », le quotidien britannique The Times révélait le même jour un document secret envoyé à tous les ministres de l’Intérieur européens : un plan de l’Union européenne pour mettre en œuvre « plus de 400 000 déportations » de migrantEs arrivés depuis janvier. Plus de 400 000, c’est-à-dire plus de 2 sur 3 ! L’objectif est écrit : des chiffres massifs d’expulsions visant à dissuader de nouveaux migrantEs.
Machine policière
Le document indique qu’il faut non seulement expulser plus de migrantEs mais aussi agir pour qu’ils ne puissent y échapper et passer dans la clandestinité : « Il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter le retour de migrants illégaux, y compris la détention. » Ce plan prévoit la création d’une unité spéciale de Frontex pour favoriser les expulsions, et les États membres qui ne procéderont pas à assez d’expulsions seront poursuivis. Enfin des pressions, notamment économiques, seront exercées envers les pays du sud – le Niger et l’Érythrée sont cités – pour les contraindre à « reprendre » leurs migrantEs.
L’objectif – 400 000 expulsions ! – fait froid dans le dos. Il ne vaut pourtant que pour les migrantEs arrivés au premier semestre, ce qui signifie que le dispositif mis en place est appelé à durer. On parle donc bien de la mise en place d’une machine policière, judiciaire et militaire, pour contrôler, enfermer, réprimer et déporter régulièrement à une échelle de masse. Et ce dispositif enserrera toute la société, illustrant que les frontières ne sont pas que des murs, des barbelés, des bateaux de guerres externes : elles sont une logique sociale et politique de gouvernement de domination de toute la société. Et une logique de domination des pays du sud.
Ce n’est pas fatal
Ce plan de l’UE doit être dénoncé publiquement pour démontrer l’hypocrisie des discours actuels sur l’accueil et leur logique réelle. D’autres discours viendront alors sûrement affirmer qu’il ne s’agit que d’un « document de travail »... Mais il doit surtout être combattu.
Ce plan est la concrétisation de l’orientation dominante qui veut continuer à empêcher les flux migratoires. Et, quoi qu’il en dise, derrière la « souveraineté européenne » de Hollande se profile le « souverainisme national » de Marine Le Pen... Car il s’agit toujours d’une « souveraineté » des dominants contre les autres : les étrangers, les pays du sud et plus largement tous les pauvres. Cette souveraineté diffuse un racisme envers les étrangers qui est aussi un racisme social. Quand on accepte l’argument que l’on « ne peut pas accueillir toute la misère du monde », on finit par accepter aussi celui selon lequel il faut « faire des sacrifices »... Alors que les riches continuent à s’empiffrer.
Il est logique que cette souveraineté des riches s’accompagne d’un renforcement de tous les pouvoirs policiers de l’État parce qu’elle ne peut s’imposer que par la force. Légitimée aujourd’hui par la volonté d’expulser les migrantEs, elle servira de même contre tous ceux et celles qui veulent se battre pour des logements décents ou des emplois, contre le racisme ou la crise climatique.
Plus que jamais la solidarité avec les migrantEs doit être une solidarité de lutte commune. Pour une souveraineté des sans-culottes, des sans-dents, celle qui se construit dans chaque lieu de travail, dans chaque quartier. Et qui n’a pas de frontières.
Denis Godard