Publié le Vendredi 20 novembre 2015 à 12h39.

Répondre aux attentats : Prendre la route des migrantEs

C’est un message en anglais de Safi, qui avait été évacué de la place de la République il y a deux semaines : « Mon âme et mon cœur vont aux Français et à ceux qui ont perdu ceux et celles qu’ils aimaient dans les attaques terroristes diaboliques et inhumaines du 13 novembre ! #condamnation de la part des migrants afghans #condoléances au peuple de Paris... »

Quiconque ne se résout pas au drame du 13 novembre doit réfléchir aux réponses dominantes données après les attaques de Charlie hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier dernier. Les réponses avaient été l’appel à l’union nationale, le développement de l’appareil policier et sécuritaire et l’intervention militaire en Syrie. Toute cette logique s’est mise à tourner encore plus fort sous prétexte de « crise migratoire » : dans les faits, un véritable refus de l’accueil et le renforcement du système des frontières et de domination, interne et externe.

Le pouvoir fabrique les monstres

Le sommet Europe-Afrique qui a eu lieu à Malte deux jours avant les attentats l’a encore illustré. « Comme au temps jadis, les Européens, grands maîtres du monde, avaient cru convoquer leurs petits nègres de service, pour leur donner quelques ordres », écrit Afrique Éducation. Ce que l’Europe voulait imposer aux pays d’Afrique : des centres de rétention et le retour des migrantEs expulsés en échange d’une aide au montant dérisoire.

Pourtant, 10 mois plus tard, loin d’en avoir conjuré le spectre, le drame frappe encore plus fort novembre que janvier. Pourtant les réponses du gouvernement, de la droite et de l’extrême droite vont encore plus loin dans la même logique : état d’urgence et renforcement de tous les pouvoirs de surveillance et de répression de l’État, frappes en Syrie, fermeture des frontières.

Alors si nous ne réagissons pas, il y a et il y aura de nouvelles victimes de la situation actuelle. Les morts de vendredi sont des nôtres. Immédiatement, au nom de la lutte contre Daesh, le peuple syrien est sous les bombes. Les migrantEs, réfugiéEs comme sans-papiers, seront les suivantEs, victimes des amalgames et du durcissement de la politique des frontières. Et puis les musulmanEs. Et puis les habitantEs des quartiers populaires. Et enfin nous touTEs. Directement parce que la politique de ceux qui nous gouvernent reproduit et accentue les conditions de nouveaux drames : « Vos guerres, nos morts ». Indirectement parce que tout cela va avec plus d’austérité, plus de racisme, plus de répression de la solidarité quelque forme qu’elle prenne. Le pouvoir ne combat pas les monstres, il les fabrique : le fascisme et Daesh.

L’espace de la réponse

Le mail de Safi est un indice. Se battant pour leurs droits, les migrantEs ont croisé la route de nombreux et nombreuses soutiens. Ils ont dit qu’ils n’étaient pas que des victimes. Ils ont montré que la guerre actuelle n’était pas une guerre de cultures, de religions ou de civilisation, mais une guerre des dominants contre tous les dominéEs. Des ingrédients sont là pour une autre réponse que celle du pouvoir. Les interdictions de rassemblement ont été bravées dans de nombreux endroits. Et à Lille comme à Metz, les fascistes ont été chassés de ces rassemblements sous la pression de centaines de personnes.

Sous prétexte de sécurité, le pouvoir s’efforce de contrôler l’espace public. Plus que jamais les migrants, pour qui c’est le seul espace, sont en danger. La solidarité avec les migrantEs devient alors, plus encore qu’hier, la défense d’un espace qui est aussi celui de l’expression et de la lutte pour tous nos droits. La simple tenue des manifestations du 22 novembre pour l’accueil des migrantEs et du 29 novembre pour le climat sont désormais des enjeux.

À la place de la manifestation appelée par les migrantEs de République ce dimanche 15, interdite par la préfecture, une réunion a eu lieu. Elle s’est donnée comme objectif de s’appuyer sur la mobilisation pour ce dimanche 22 novembre afin de développer la coordination et le contact entre les migrantEs dispersés, dans nos rues et dans les centres.

C’est l’espace de la réponse : la solidarité. Contre la peur. Contre l’isolement, l’atomisation et les indifférences. Contre le racisme. Contre la guerre. Contre l’austérité. Les migrantEs, les habitantEs des quartiers populaires, les Roms, les Arabes, les Noirs, les musulmanEs, les grévistes d’Air France et d’ailleurs, ne sont pas le problème mais la solution.

Alors il nous faut prendre la route des migrantEs, pour la liberté de circulation, pour la « liberté, dignité, humanité ». Sur cette route, de nouveaux barbelés sont dressés. Les migrantEs nous ont aussi appris que ceux-ci ne sont jamais infranchissables : « de l’air, ouvrez les frontières ! »

Denis Godard