Publié le Mercredi 24 janvier 2024 à 09h00.

Jeunesse volée : La secte du Sarah Lawrence College

Titre original : Stolen Youth. Série documentaire nord-américaine en 3 épisodes, février 2023, durée 1 h 03 min.

Quand on parle de « secte », la première image qui vient est celle d’un groupe religieux aux rituels obscurs, sous la tutelle d’un gourou illuminé, à l’image de l’Ordre du Temple solaire ou d’Heaven’s Gate1. Aujourd’hui, la dimension religieuse ou spirituelle n’est plus nécessaire pour parler d’un groupe aux dérives sectaires, selon les spécialistes de la question. Ce qui le définit n’est pas son bagage théorique, mais sa structuration autour d’un leader charismatique (ou plusieurs), autocrate et manipulateur, qui impose un fonctionnement aliénant et ­psychologiquement destructeur pour les membres.

Huis clos sectaire

La secte du Sarah Lawrence College en est un exemple concret. Tout débute en 2010, quand Larry Ray, le père vénéré de Talia, sort de prison après avoir été embastillé à la suite d’un complot obscur contre sa personne. À titre provisoire, il est accueilli sur le canapé de la résidence universitaire que sa fille habite en colocation avec ses amiEs Isabella Pollok, Santos Rosario, Daniel Barban Levin et Claudia Drury.

Progressivement, chacunE des amiEs est prisE dans la nasse et tombe sous le charme de Larry Ray. Ce dernier, en utilisant les méthodes du développement personnel et de la psychologie positive, arrive à prendre le contrôle de chacunE, se positionnant comme « le détenteur de la vérité », celui qui distribue les bons points.

Il les coupe au fur et à mesure de leurs amiEs à l’université, les invitant à vivre avec lui dans son appartement à New York, imposant au fur et à mesure ses règles, son règne. Les rejoindront plus tard Yalitza puis Felicia, les deux sœurs de Santos. Dans ce huis clos, les violences psychologiques et physiques vont crescendo, avec l’enregistrement régulier de confessions et d’autocritiques. Le lavage de cerveau est total, le contrôle coercitif se met en œuvre, imposant une forme d’emprise sur ses victimes. Suit la mise en concurrence des membres du groupe entre elleux, puis l’extorsion financière, estimée à au moins un million de dollars.

Témoignages de l’emprise

Le documentaire, aux images et enregistrements audios souvent durs, donne la parole à plusieurs survivantEs du groupe, ainsi qu’à leurs familles et amiEs. Il se centre sur leur parcours, là où les œuvres de « true crime » sont souvent construites autour de la fascination pour les meurtriers.

Leurs témoignages sobres et dignes permettent de comprendre comment tout se met en œuvre. Comment des offenses imaginaires, preuves du complot contre Larry Ray, sont utilisées pour maintenir le groupe en alerte permanente et obtenir toujours plus de ses membres. Claudia sera ainsi contrainte de pratiquer l’escorting et de transmettre l’argent récolté, pour prouver sa loyauté et en réparation de ses fautes, plusieurs mois durant.

Les survivants expliquent comment la moindre étincelle d’individualité est effacée, annihilée et reprogrammée. Ils racontent les difficultés à retrouver la réalité, à renouer des relations sincères avec les autres. Ils montrent enfin comment l’emprise exercée par Larry Ray a détruit l’avenir professionnel de ces jeunes, sacrifiant leurs études, et le combat que chacun mène depuis pour sa reconstruction personnelle.

C’est une série à voir d’urgence. En ces temps de crises politiques, d’aggravation des problèmes de santé mentale (en particulier chez les jeunes), elle nous aide à identifier les dynamiques sectaires, et nous montre que personne n’est à l’abri.