CD chez Another record et Dur et doux.
Ayant des choses à dire sur l’état dramatique du monde, ce quatuor – deux filles, deux garçons – de « pop baroque » choisit de le faire de manière distanciée et joyeuse par le biais des sonorités du passé. Une approche tout sauf passéiste, propice à de nombreuses surprises.
De plus en plus près des années 1960
Chez les adeptes du vintage, à chacunE sa sensibilité. Pour son troisième album, Odessey & Oracle – d’après le nom de l’album culte de 1968 des Zombies – finit de choisir son camp sonore : de plus en plus près des années 1960, mais en évitant toujours soigneusement les années 1980. À ce titre, le recensement dans les notes de pochette des nombreux synthés analogiques en présence fait office de profession de foi. Mais les attendus instruments amplifiés côtoient aussi le clavecin, le hautbois baroque ou toutes sortes de flûtes qui enrichissent le spectre sonore. On se trouve ici dans la continuité de ces groupes avant-gardistes – souvent anglais – qui, par leur grande maîtrise de l’écriture musicale, décloisonnèrent pop et rock tout en cherchant dans les sons anciens une alchimie nouvelle. Plus de cinquante ans après, cette démarche paraît toujours inédite, tant le mélange offre de possibilités encore inexplorées.
La première chanson sonne comme du François de Roubaix ou du Gainsbourg, mises à part ses paroles qui annoncent une approche bien différente : une évocation « à l’envers » des violences domestiques à travers le récit acidulé d’une mère de famille qui tue son mari dans l’espoir qu’un prince charmant vienne la chercher. Histoire tragique dont l’humour noir fait mouche, la distance poétique présente dans toutes ces chroniques n’empêchant pas une dénonciation sans appel de la marche du monde. Plus loin, la chanson qui donne son titre au disque peint le vilain portait des résidents des îles Caïmans – des crocos bien sûr ! – qui voient tous leurs méfaits financiers déballés de manière ludique, jusqu’à un inattendu et prophétique happy end.
Des textes graves sur des musiques enjouées
Désormais exclusivement en français, ces textes à l’ironie amère (dont on gagnera à retrouver la transcription sur leur site (1) jouent à fond le contraste avec des mélodies particulièrement enjouées. On saluera l’audace, après en avoir été un peu déconcertéE de prime abord. Des trouvailles toutes personnelles dans l’écriture musicale et les sonorités ne manqueront pas d’interpeller les oreilles les moins réticentes à une telle profusion.
Exception qui confirme la règle (ses auteurEs ayant l’esprit de contradiction particulièrement développé), le dernier titre, apaisante mélodie aux accords brésiliens épurés, vient en ultime contre-pied délaisser nonchalamment la démarche déployée tout au long du disque. De manière toute pataphysique (comme certains de ses modèles anglais avant lui…), le groupe, qui sur ses albums précédents recourrait volontiers aux pièces instrumentales quand il manquait d’idées de paroles, préfère désormais, plutôt que de se taire, le faire savoir en chanson !