Publié le Dimanche 10 novembre 2024 à 16h30.

Le son de la révolte. Une histoire politique de la musique noire américaine, de Christophe Ylla-Somers

Éditions Le mot et le reste, 2024, 453 pages, 30 euros.

Le mot et le reste est une maison d’édition marseillaise qui confesse deux marottes principales : d’un côté, elle édite des textes en lien avec la nature et, de l’autre, elle propose un large pan d’ouvrages consacrés à la musique. Catalogue impressionnant par son exhaustivité et sa diversité, embrassant tous les styles et multipliant quelquefois plusieurs titres sur un seul artiste ou sujet. Dans ces ouvrages, l’approche sociologique et politique n’est jamais oubliée.

La culture musicale africaine-américaine

Christophe Ylla-Somers, spécialiste en histoire et co-auteur, entre autres, d’une BD sur la Commune de Paris, nous fait réviser l’histoire de l’Amérique sous un tout autre angle, celui de la culture musicale africaine-­américaine, et dans un livre passionnant nous démontre la pertinence de cette approche.

Cet érudit et minutieux essai ne se contente pas de faire la liste de grands noms de la musique contemporaine. Divisé en sept grandes époques (Spiritual, Blues, Jazz, Rhythm’n’Blues, Soul, Funk, Hip-hop) et au fil d’édifiantes anecdotes, il détaille pourquoi et comment la musique — et la danse — fait partie intégrante de la vie des AfricainEs-AméricainEs, offrant depuis l’esclavage un moyen d’accompagner les tâches, d’exprimer ses sentiments et ses revendications, de s’adonner à la critique sociale, d’être un vecteur de lutte. L’auteur, avec un militantisme affirmé, ne manque pas l’occasion de fustiger à chaque page la violence du racisme systémique qui a animé l’Amérique blanche en réaction à l’émergence de ces expressions. Comble du cynisme, de nombreux musiciens blancs ont plagié la musique noire dès le 19e siècle à des fins commerciales et tout en continuant d’en ­dénigrer la puissance et la portée1

Appel à liberté et à la justice sociale

Alors, 460 pages d’oppression, ça peut paraître un peu désespérant. Pas du tout en vérité car cela ne peut être dissocié d’un créatif et foisonnant appel à liberté et à la justice sociale, suivant l’exemple des esclaves et de leurs descendantEs. Celleux-ci ont fait évoluer la religion chrétienne qui leur était imposée à l’aide de chants, mettant en avant non pas les notions de crainte et de punition mais d’espoir d’une vie meilleure future, sans attendre l’au-delà.

La bibliographie à la fin du livre est une véritable mine de ressources, tout comme les très nombreuses citations. Relevons celle du chanteur et poète Gil Scott-Heron : « Quand on est vivant et noir sur la planète Terre […] il n’y avait aucun foutu moyen de ne pas avoir de pression politique sur les épaules, et par conséquent de ne pas avoir d’opinions politiques. »

Benjamin Croizy

  • 1. En matière d’appropriation, mention spéciale au disco blanc, intronisé par le film au succès planétaire Saturday Night Fever et conspué à juste titre tant il invisibilisait les véritables fondateurs du disco.