Publié le Vendredi 10 avril 2020 à 08h35.

The show must pas forcément go on...

Ce texte a été écrit à plusieurs mains par la Commission culture du NPA, composée de travailleurEs des arts, du spectacle vivant, de l’audiovisuel, du livre, du patrimoine, du journalisme... Les secteurs, métiers, statuts et régimes sont vastes, les situations personnelles très hétérogènes. Pour nous définir simplement, nous dirons « travailleurEs de la culture ».

Depuis le début de cette crise mondiale, sanitaire, sociale et politique, le monde culturel est, comme d’autres secteurs, touché de plein fouet. Une immense partie des travailleursEs des arts et de la culture est menacée, en raison des innombrables annulations de concerts, spectacles, ateliers, répétitions, expositions, salons, rencontres sportives...

Pourtant, on n’a jamais autant consommé de culture que depuis le début de ce confinement. Les entreprises culturelles s’activent sur les réseaux pour faire la promotion de contenus dématérialisés. Le ministère de la Culture a même lancé l’opération #Culture­ChezNous et son site internet est devenu « une plateforme où [sont] répertoriées toutes les initiatives permettant de faire venir la culture à domicile pendant le confinement ».

« The show must go on »

Le capitalisme ne supporte pas d’être mis en pause. Au-delà de l’incapacité du numérique à restituer une œuvre vivante, ce que nous dénonçons c’est bien l’illusion donnée que tout continue, coûte que coûte, quel qu’en soit le prix, que tout se réinvente alors que la réalité est tout autre. La casse va être terrible pour touTEs les précaires et pour la diversité de l’offre culturelle.

Car, comme pour les secteurs de la santé, de l’agriculture, de l’éducation, cette crise met à nu toutes les inégalités de classe qui se jouent depuis longtemps. Les bibliothèques fermées, tout le monde n’a pas quantité de livres à la maison ni un accès à internet avec les outils pour accéder correctement à tout ce contenu. Des inégalités que l’on retrouve du côté des artistes, car avoir chez soi les conditions permettant de travailler représente plus l’exception que la règle. Par ailleurs, continuer à créer gratuitement devient insupportable quand le travail gratuit est déjà notre lot quotidien.

Pour bien des intermittentEs, mais aussi intérimaires, saisonnierEs ou vacataires, les répercussions sur une longue durée vont être dramatiques et difficilement quantifiables.

Dans le secteur de l’information

L’inquiétude est la même chez les salariéEs du secteur de l’information, puisque se retrouvent mis en concurrence au sein des rédactions les journalistes postés et les pigistes. Les pigistes culture et sport sont les premierEs privés de travail et de chômage partiel. Le combat se mène boîte par boîte dans une situation très hétérogène : le groupe Prisma refuse de prendre en compte les pigistes, tandis que la direction de RMC traitera tous ceux identifiés « sport » au cas par cas. En principe pris en charge dans l’audiovisuel public, quid de celles et ceux qui travaillent dans les 3 728 boîtes de production, sous-traitantes de celui-ci ? Pour la presse, cette crise pourrait bien être la crise de trop. Les journaux subissent une baisse drastique de leurs revenus publicitaires mais aussi de l’achat en kiosques, la majorité des points de vente ayant fermé. Seuls les journaux adossés à des milliardaires ont une chance de survivre, tandis que la presse indépendante se trouve grandement menacée.

Le Louvre, on le ferme

Dans le secteur « culture et patrimoine » (musées, monuments, manufactures, bibliothèques) nous avons semble-t-il échappé au pire en termes de risques sanitaires, mais certainement pas grâce au ministère ni aux directions des établissements, qui ont dans un premier temps demandé à tout le monde de continuer à travailler (presque sans équipements) et ce malgré les risques élevés de contamination pour les salariéEs comme les usagerEs ! C’est grâce à la mobilisation des agentEs du Louvre qui, réunis en AG pour voter un droit de retrait général, ont imposé la fermeture de l’établissement dès le 1er mars. Rapidement, de nombreux établissements ont suivi l’exemple et fermé au public, entraînant finalement une consigne ministérielle de fermeture totale. Mais cette crise sanitaire a, ici comme ailleurs, fait place à une crise sociale pour les nombreux précaires, sous-­traitantEs, « auto-­entrepreneurEs » qui dépendent de ces établissements (guides, nettoyage, sécurité, médiateurs, etc).

Des miettes en compensation ?

Dans le spectacle et l’audiovisuel, cette crise révèle la précarité structurelle de nos métiers régulièrement fragilisés par les attaques à l’encontre du régime spécifique de chômage qu’est l’intermittence.

Nous observons la non-volonté flagrante du pouvoir d’investir dans le secteur culturel. Le gouvernement prévoit de débloquer 22 millions d’euros d’aide d’urgence1. À titre de comparaison, l’Allemagne – pourtant porteuse d’une politique libérale offensive envers les plus précaires – développe un plan d’urgence de 50 milliards d’euros pour la culture, la presse et les médias, soit 2 000 fois plus... Chez nous, on nous parle d’« unité nationale » tout en refusant que les grandes fortunes soit mises à contribution pour participer financièrement à une solidarité dont l’injonction est martelée, chaque jour, aux plus précaires.Pas de culture sans droits sociaux ni services publics !

Heureusement, il nous reste la solidarité et notre volonté de préserver nos droits sociaux. Les militantEs de la CGT spectacle et de Sud culture Solidaires ont immédiatement commencé à faire un état des lieux des événements et répétitions annulés afin de chiffrer les manques, de pousser employeurs et ministère à assumer leurs responsabilités, et de formuler des revendications d’urgence.

Une première réponse du ministère est apparue, dans une circulaire promettant, pour les intermittentEs, de geler les mois de confinement (décalage de la date anniversaire) offrant un court répit. Mais les contours de cette mesure restent flous et, concrètement, la longue mise en place du chômage partiel retarde les paies de mars...

De nombreuses questions restent en suspens et le combat pour un véritable programme d’urgence de la culture à moyen terme est une nécessité vitale pour nos secteurs : on ne veut pas de vos miettes, on veut vos milliards !

Nous exigeons des mesures d’urgence– Respect par toutes les structures publiques ou subventionnées de tous les engagements passés avec les salariéEs intermittents, contrats de travail signés ou non ; – Prolongement et stabilisation de tous les emplois précaires des structures publiques durant cette période de confinement ;– Rallongement d’un an de toutes les indemnisations et renouvellement automatique des droits des demandeurEs d’emploi et intérimaires pendant cette période ;– Abrogation définitive de la réforme de l’assurance chômage mise en application au 1er novembre et au 1er avril (différée au 1er septembre) ;– Abrogation définitive de la réforme des retraites ;– Réquisition auprès du CAC40 des milliards qui manquent pour pérenniser, entre autres activités indispensables, tous les métiers des arts et de la culture.

Nous encourageons touTEs les travailleurEs de la culture à se solidariser localement et nationalement aux autres secteurs en lutte pour leur survie à travers les cadres de discussion et d’organisation interprofessionnels notamment.

Notre rôle en tant que militantEs révolutionnaires et syndicalistes de la culture et des arts est de prendre part à la défense les droits des travailleurEs et de l’ensemble des précaires.

Il nous appartient donc, par la solidarité concrète contre l’isolement et la division, la politisation de cette solidarité, le refus des discours guerriers... de préparer cet « après ».

Parce que nous aimons nos métiers, on entend souvent dire que nous pourrions les pratiquer dans n’importe quelles conditions, voire même que notre précarité nous offre les conditions de la liberté artistique. Non, liberté ne rime pas avec précarité et nous n’avons pas plus que quiconque le moindre intérêt à subir l’exploitation. Nous nous battons pour une société libérée des rapports de propriété et de la course au profit. Une société où l’augmentation du temps de loisir ne serait pas associée à un contexte de peur du lendemain mais un bienfait choisi et organisé afin que la population entière, et pas seulement les artistes, ait les moyens d’imaginer d’autres mondes. Bref, de créer.

  • 1. Reste à savoir comment vont être redistribués ces 22 millions, qui devraient a priori « ruisseler » des grosses structures jusqu’aux plus petites, pour reprendre une théorie aussi persistante que douteuse...