Dossier réalisé par la commission nationale écologie du NPA
L’Union européenne et les États-Unis négocient en secret le grand marché transatlantique. Abolissant les barrières douanières tarifaires et non-tarifaires, il vise à démanteler les normes limitant les profits des multinationales. Grâce à une agriculture rendue « plus compétitive » par la médiocrité des protections sociales, sanitaires et environnementales, une structure agricole favorable (13 ha pour une ferme moyenne dans l’Union européenne contre 170 aux États-Unis, 57 emplois sur 1 000 ha dans l’UE contre 6 aux USA), la déferlante de produits agricoles étatsuniens poussera notre agriculture à s’engouffrer encore davantage dans le modèle agro-industriel, l’alimentation animale maïs-soja au détriment des prairies et protéines, la concurrence accrue et la contraction des coûts de production avec leur cortège de concentration croissante des exploitations, de spécialisation des régions et de réduction drastique des emplois agricoles. Circuits courts, pratiques agroécologiques, produits agricoles de qualité et agriculture paysanne seraient considérablement menacés. La porte sera ouverte à la volaille désinfectée au chlore, le bœuf aux hormones, le porc dopé à la ractopamine et les OGM agricoles.
C’est aussi la logique du projet de la « ferme » dite « des 1 000 vaches » du groupe Ramery en installant la plus grande ferme-usine de France, concentrant 1 000 vaches dans un bâtiment de 200 mètres. Elles produiront du lait à un prix cassé, leurs déjections iront servir de carburant dans un énorme méthaniseur de 1,5 Mw dont le digestat sera répandu sur 3 000 ha de terres détournées de leur vocation alimentaire. Le bilan est prévisible : vaches emprisonnées, foncier gelé, lait bradé, paysans disparus et emplois précarisés, pollution des sols et de l’eau, risques sanitaires et industriels. Le lait serait vendu 270 euros/t alors que les éleveurs ne s’en sortent pas au prix actuel de 350 euros/t : de nombreuses exploitations ne pourront survivre. Quant aux emplois, une dizaine seulement (précaires pour la plupart) seront créés pour gérer les animaux et la traite du lait, alors que les exploitations agricoles que le projet fera disparaître en comptent plus de quarante. Toute la filière laitière est menacée, le lait devenant un sous-produit de la méthanisation.
La révolte dite « des Bonnets rouges » a éclaté dans une Bretagne en crise sociale et environnementale, sinistrée par les plans sociaux de l’agro-industrie qui préfère les charettes de licenciements et les défilés incessants de camions sur les routes, les élevages industriels maltraitant les animaux et celles et ceux qui y travaillent, les records de pollution durable des rivières et des eaux côtières.
Le bilan du capitalisme et de son modèle agricole productiviste est catastrophique : ils nous précipitent dans le mur. Les crises sanitaires, sociales et alimentaires de ces dernières années condamnent ce système et appellent un nouveau modèle agricole qui sera agroécologique ou mortifère.
Agroécologie paysanne ou agriculture productiviste ?
La définition du développement est une notion essentielle qui structure la société. Certains penseurs ont tenté de retracer l’origine et les conséquences de cette vision (1). Les nuisances sociales, écologiques et humaines sont particulièrement marquantes dans le domaine agricole. L’accumulation du capital, soutenue par l’idéologie du productivisme, a joué un rôle majeur dans la destruction de la paysannerie dès le milieu du XIXe siècle, processus qui s’est accéléré après la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant aujourd’hui, les paysans ne sont toujours pas morts, Silvia Pérez-Vitoria parle même d’un retour des paysans (2).
La comparaison entre l’agriculture productiviste et l’agroécologie paysanne permet de comprendre les logiques, les processus, et vers où elles nous mèneraient. L’agriculture productiviste n’est pas une fatalité et l’agroécologie modifiant l’ensemble de notre société est un vrai projet anticapitaliste.
L’agriculture productiviste, ni écologique ni sociale
Dans l’agriculture productiviste, l’unité de base est l’exploitation agricole. Des décisions « prises ailleurs » s’imposent avec pour objectif toujours plus de volumes et des prix toujours plus bas, cela pour une rentabilité financière maximale.
Les exploitants n’arrivant plus à augmenter les rendements depuis les années 80-90 avec le paquet technique de la révolution « verte », la seule manière d’augmenter les volumes par travailleur est l’agrandissement. Il s’ensuit un besoin constant de recapitaliser, surtout par l’emprunt. Les banques ont alors un énorme pouvoir dès le premier problème de trésorerie. Pour les ventes, les gros volumes ne peuvent être écoulés qu’en filières longues. Les exploitants sont alors dépendants des opérateurs en amont de la filière. Quant aux prix de vente, ils sont écrasés par les cours mondiaux et l’hégémonie de la GMS (Grande et moyenne surface) dans les négociations. Rappelons que les denrées alimentaires de base subissent des spéculations en bourse, induisant famines et émeutes de la faim comme en 2008.
Pour les exploitants, les prix de vente ne permettent pas de vivre financièrement de leur travail, notamment en grandes cultures et en élevage où les subventions représentent de 50 à 100 % des revenus. Le recours aux subventions de la PAC (politique agricole commune), avec ses conditions, entraîne un pilotage bureaucratique des exploitations.
La triple exclusion des paysans
En pratique, les intrants ne cessent d’augmenter (mécanisation, carburant, pesticides, désherbant et matériel génétique sélectionné), avec leurs impacts écologiques (pollutions, réchauffement global et perturbations locales) et sur la santé humaine (cancer, fertilité, etc.). Sur le plan moral et psychologique, le niveau de souffrance est énorme, les perspectives moroses (500 suicides sur 3 ans entre 2007 et 2009 (3) ). Nombre de parents dissuadent leurs enfants de reprendre. Le vieillissement de la population s’accélère. La population agricole continue sa chute vertigineuse.
Depuis les années 50, le terme de « massacre paysan » peut être utilisé. François de Ravignan (4) parle de la triple exclusion des paysans : celle du foncier, des moyens de production et du marché. Le modèle productiviste a montré son incapacité à nourrir la planète. Le marché de la faim permet seulement à ceux qui en ont les moyens d’acheter leur nourriture. Pour De Ravignan, le problème de la faim dans le monde est un problème d’exclusion, non pas de production quantitative ou de distribution alimentaire. Le productivisme et le capitalisme sont les responsables. L’agriculture productiviste est vouée à un échec certain, question de temps, de crise énergétique, climatique ou écologique, de révolution ou de révolte.
1 – F. Partant, Que la crise s’aggrave, Parangon, 2002 (réédition).
2 –Silvia Pérez-Vitoria, Les paysans sont de retour, Actes Sud, 2005.
3 – http ://www.lemonde.fr/societe/article/2013/10/10/500-suicides-recenses-chez-les-les-agriculteurs-en-3-ans_3493464_3224.html
4 – François de Ravignan, La faim pourquoi ? Un défi toujours d’actualité, La Découverte & Syros, 2009.
L’agroécologie paysanne, une rupture radicale
L’agroécologie paysanne constitue une rupture radicale avec le modèle dominant. La finalité est un renversement du système de valeurs, des pratiques agricoles et des rapports sociaux. En agroécologie, c’est une rationalité écologique et sociale qui guide les choix. Les paysans, en communauté, réseau ou collectif, sont au cœur du processus décisionnel. L’unité de base de la production est l’agroécosystème. Le modèle agroécologique n’est pas une simple approche d’agronomie écologique technicienne.
Il y a une recherche d’équilibre entre l’activité humaine et la biosphère. On cultive des plantes qui se reproduisent et qui sont adaptées au pays. On élève des races animales adaptées au contexte culturel et pédoclimatique. La complémentarité des cultures et des élevages sont recherchées. La diversité d’activités cherche à optimiser le potentiel du lieu. Des échanges de produits, de services, vont permettre une autre relation aux autres, d’entraide et de solidarité. Un large éventail de remèdes naturels, préventifs ou curatifs, permettent de soigner les plantes, les animaux et les individus. Le greffage, le potager, la basse-cours, etc. donnent une base alimentaire de subsistance pour l’agriculture familiale et coopérative. C’est justement elle qui évite pour un tiers de la population mondiale, ceux économiquement définis comme « vivant avec moins de deux dollars par jour », le basculement de la « pauvreté à la misère » dont parle Majid Rahnema (1).
La transmission de savoirs et savoir-faire populaires est d’une grande richesse. Des innovations sont faites par les paysans dans un processus créatif et d’adaptation selon les circonstances. Une telle approche demande évidemment un accès au foncier, dont l’usage est bien souvent plus important que la possession (S. Pérez-Vitoria). Or l’exclusion par le foncier est bien réelle. L’ancrage du mouvement social d’agroécologie au Brésil est, entre autres, basé sur le mouvement des paysans sans terre.
Des enjeux anticapitalistes
L’agroécologie est présente depuis plusieurs années dans la littérature scientifique (voir les travaux des chercheurs Miguel Altieri (2) ou Stephen Gliessman (3) ). Les mouvements sociaux d’Amérique latine ont été pionniers, mais depuis 2008, des réseaux paysans internationaux comme Via Campesina et Via Campesina Europe utilisent et revendiquent l’agroécologie. Le terme est utilisé pour qualifier un modèle agricole et non pas un type d’agriculture en particulier, c’est une démarche, un processus demandant une réflexion sur la transition à opérer.
Cela demande une profonde réforme agraire en commençant par la réforme de la PAC et la sortie des intrants chimiques (notamment pesticides et engrais) en moins de 10 ans. Au niveau international il s’agit de sortir « l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de l’agriculture » comme revendiqué par Via Campesina. Il va de soi que l’agroécologie paysanne est un positionnement politique qui engendre pour nous des enjeux et un projet de société anticapitaliste.
1 – M. Rahnema, Quand la misère chasse la pauvreté, Paris, Fayard/Actes Sud, 2003.
2 – M. Altieri, L’agroécologie, bases scientifiques d’une agriculture alternative, Paris, Debard, 1986. et Agroecology : The Science for Sustainable Agriculture, 2nd ed. Boulder, Colorado, Westview Press, 1995.
3 – S. Gliessman, Agroecology : ecological Processes in Substainable Agriculture, Chelsea, MI : Ann Arbor Press (1998) et Agroecology of sustainable food systems, London, CRC Press Taylor & Francis Group (2006).
Modifier nos habitudes alimentaires, une nécessité
Les supermarchés regorgent de produits alimentaires, l’espérance de vie rallonge. De quoi se réjouir alors ? Pas vraiment... Il est souvent difficile d’aborder la question de l’alimentation car cela renvoie à notre fonctionnement le plus intime (petite enfance, lien avec les parents…). Il faut néanmoins oser affronter la réalité : nous allons crever de la malbouffe !
Dans les années 50, les politiques agricoles mises en place ont contribué à modifier profondément les pratiques agricoles des paysans. Nourrir la population et entretenir les paysages n’étaient plus la priorité. Il fallait entrer dans la « modernité » et augmenter les rendements, transformer le paysan en « exploitant » agricole, en « manager » investissant comme un patron. La productivité agricole a augmenté considérablement, dopée par l’industrie chimique en plein essor (engrais, pesticides…) qui trouvait là une belle aubaine pour accroître ses parts de marchés et ses profits. La « révolution verte » faisait rentrer le monde agricole dans la « cage d’acier du capitalisme » (comme le dirait Max Weber)...
Le constat aujourd’hui est clair : épuisement des ressources naturelles et des sols, déforestation et disparition des terres cultivables, augmentation alarmante des maladies dégénératives et cardiovasculaires, des cancers, du diabète et de l’obésité d’un côté du globe et malnutrition et famines de l’autre… Autant de signes qui nous obligent à changer des modes de production et de consommation alimentaires directement façonnés par le capitalisme.
Qu’y a-t-il dans nos assiettes ?
En transformant le mode de production agricole, en industrialisant la fabrication des aliments, le capitalisme n’en finit pas de nous rendre malades. Surchargée en sucre, en sel, en matières grasses, en additifs de tout genre, la nourriture industrielle est contraire aux besoins physiologiques. Elle créée des déséquilibres graves, cause des dégâts irrémédiables à la santé et à l’environnement et nourrit d’autant plus mal la population que le niveau de revenu est faible. Les plus riches sont aussi en meilleure santé aussi parce qu’ils ont une meilleure alimentation. Une inégalité fondamentale pour un élément vital.
Prenons le cas de la viande, bon révélateur des dégâts causés par l’agriculture productiviste et le système agroalimentaire industriel. Sa production est hyper consommatrice d’eau (15 000 litres pour 1 kg de viande) et de terres cultivables (64 %). Elle participe à la déforestation, en particulier au Brésil, en Argentine, au réchauffement climatique (agriculture et élevage = 1/4 des gaz à effet de serre). Le bétail consomme 50 % des récoltes alimentaires et les excréments représentent 50 % de la pollution des nappes phréatiques mondiales. Élevés en batterie, les animaux sont nourris d’OGM et gorgés d’antibiotiques qui se retrouvent dans la chaîne alimentaire et détériorent durablement la santé. Or la consommation de viande est passée de 30 kg/personne en 1919 à plus de 100 kg aujourd’hui. Refusons le modèle imposé par les industriels de l’agroalimentaire, réorganisons nos consommations, apprenons à manger autrement.
Capitalistes hors de nos cuisines !
Le NPA revendique l’urgente nécessité d’imposer, par les luttes, la réorientation de la politique agricole vers une logique de souveraineté alimentaire basée sur des fermes à taille humaine. Certains agriculteurs ont réussi à se mettre en marge au moyen de logiques autonomes et économes et de petites structures. Le développement des Amap (associations pour le maintien de l’agriculture paysanne), des marchés locaux, des circuits courts… sont des pistes intéressantes qui prouvent que ce que défend le NPA et d’autres peut se développer.
Si nos vies valent plus que leurs profits, alors il faut virer les capitalistes de nos assiettes. Produire une nourriture saine, respectueuse de ceux qui la fabriquent et de l’environnement, est nécessaire. À la cuisine comme ailleurs, l’écosocialisme apporte des réponses anticapitalistes radicales.
La « bio » récupérée par le capitalisme vert ?
Dans le contexte français, le mouvement d’agriculture biologique se définissait à l’origine par une rupture radicale avec le modèle productiviste dominant. La « bio » d’aujourd’hui n’a gardé de cette radicalité politique que l’interdiction des produits chimiques de synthèses. La « bio » est définie par la négative dans un règlement technique, contrôlé et certifié par des Organismes certificateurs (OC) pour fournir un marché. Les révisions successives du règlement courant des années 90 et 2000 sont toujours allées dans le sens du moins contraignant et favorisant la conversion de grosses exploitations et l’agrandissement. Les GMS (grande et moyenne surfaces) réalisent plus de 50 % des ventes des produits bio. Pour fournir le marché, ils n’hésitent pas à importer jusqu’à 80 % des matières premières. C’est dire que la « bio » ne relève pas le défi de la souveraineté alimentaire par les populations locales, contribue largement au capitalisme vert et aux mécanismes d’exclusion sociaux : foncier, moyens de production et marché et à la pollution via le transport. La « bio » est devenu un signe de qualité parmi d’autres. Bref elle se fait de plus en plus récupérer, et reste le plus souvent inaccessible aux plus démunis.