Six mois après les actions de l’été dernier, les éleveurs de porcs sont à nouveau dans la rue. La cause de ce regain de colère est un nouvel effondrement du prix de la viande, celui payé au producteur bien entendu, pas celui que nous trouvons dans les rayons...
Etranglés par les dettes, beaucoup sont proches de la faillite et n’ont plus de couverture sociale faute de pouvoir s’acquitter de leurs cotisations. Ce désespoir s’exprime bruyamment, affolant les pouvoirs publics qui ont une idée de l’accueil réservé par les éleveurs – les producteurs de lait ne seront pas en reste – aux membres du gouvernement lors du proche Salon de l’agriculture.
Durant l’été 2015, les manifestations des éleveurs de porcs avaient ciblé à juste titre les industriels et la grande distribution qui leur imposaient des prix trop bas pour couvrir les coûts et dégager un revenu. Ce mouvement n’était pas exempt d’illusions sur le « produisons français », mais il mettait d'une certaine façon en cause un système qui écrase les agriculteurs pour dégager toujours plus de profit. Mais la FNSEA s’est empressée de prendre en main les négociations avec le ministère, de ramener les revendications des éleveurs sur le terrain des « charges » et des « contraintes », de s’entendre comme larrons en foire avec Stéphane Le Foll pour mettre en avant la « compétitivité ».
Le prix minimum de 1,40 euro le kilo a été promptement enterré. Ce sont les principaux transformateurs, le privé Bigard et la coopérative Cooperl, qui ont refusé d’augmenter leur prix d’achat. Non seulement le gouvernement a capitulé, mais les « représentants officiels » ont donné un coup de poignard dans le dos : le 24 septembre, la section porcine de l’Union des producteurs bretons annonçait qu’elle renonçait à la revendication de 1,40 eurodu kilo « pour préserver l’existence du marché du porc breton ».
Remettre en cause le système ou seulement ses excès ?
Les éleveurs qui manifestent, coiffés de bonnets roses et regroupés dans le collectif « Sauvons l’élevage français », ne remettent pas en cause le système mais seulement ses excès, à l’image de la Coordination rurale, syndicat marqué à droite qui semble actif dans le mouvement et qui marque des points contre la FNSEA. Ils reprennent l’exigence d’un prix minimum, mais restent sur le terrain d’une compétitivité qui serait entravée par des distorsions de concurrence, l’agriculteur-chef d’entreprise. Prendre pour cible les viandes importées (alors que la France exporte autant qu’elle importe), c’est dresser les uns contre les autres les agriculteurs des différents pays.
Or c’est bien le capitalisme qui est à l’origine de leurs déboires. Les usines à viande, à œufs et à lait, que veulent imposer les groupes industriels, reposent sur des élevages hors sol, avec des aliments composés venus de loin et une production qui voyage beaucoup : elles exigent des capitaux importants et peuvent être délocalisées. La course au gigantisme laisse les perdants dans le fossé. Une partie des éleveurs comprend qu’un prix garanti passe obligatoirement par la maîtrise de la production, mais toute organisation des marchés se heurte aux orientations libérales de la commission européenne.
On ne sortira pas des crises à répétition sans sortir du capitalisme : aucune réforme sérieuse du modèle agricole actuel ne pourra se faire dans son cadre. C’est aujourd’hui difficilement audible mais il faut expliquer et convaincre... Faute de quoi la colère paysanne cherchera sa voie du côté de la démagogie nationaliste de l’extrême droite.
Gérard Florenson