Publié le Samedi 7 mai 2011 à 11h12.

ITER : gâchis, danger ou perspective ?

Le débat soulevé par l’accident de Fukushima a aussi reposé la question de la pertinence de la recherche sur la fusion nucléaire comme solution à la crise énergétique. ITER signifie « Réacteur thermonucléaire expérimental international » (International Thermonuclear Experimental Reactor). C’est un projet de recherche impliquant 30 pays avec un budget d’au moins 10 milliards d’euros, une moitié pour la construction et l’autre pour l’exploitation (de 2015 à 2035). La fusion est une réaction nucléaire entre deux types d’hydrogène « lourd », le deutérium et le tritium, pour former un gaz neutre et inoffensif, l’hélium, accompagnée par l’émission d’une quantité colossale d’énergie sous forme de rayonnement et de particules appelées des neutrons. C’est la même réaction qu’au sein du Soleil. Il y a trois différences de taille entre la fusion et la fission nucléaire. Un des combustibles, le deutérium, se trouve en abondance dans l’eau et est donc pratiquement inépuisable. La réaction ne produit pas directement de déchets radioactifs. Enfin, le rendement énergétique pourrait être équivalent à au moins dix fois l’énergie nécessaire pour provoquer la réaction, bien supérieur à toute autre forme d’énergie. La fusion est connue depuis longtemps. Sous forme totalement incontrôlée, c’est le principe de la bombe H. Il n’y a aucune possibilité qu’un réacteur à fusion puisse se transformer en bombe. Contrairement aux réacteurs à fission, un réacteur à fusion ne présente aucun danger de fuite. S’il y a un problème, il s’arrête tout simplement de fonctionner. Néanmoins, l’utilisation de la fusion pour la production d’énergie est confrontée à trois énormes problèmes.D’abord, la réaction ne se produit que dans des conditions proches de celles existant dans le Soleil. En conséquence il faut créer un « plasma » – on mélange certains constituants des atomes – qui confine le deutérium et le tritium suspendus dans le vide à une température de 100 millions de degrés. Pour cela, on emploie des champs magnétiques générés par des supraconducteurs. Le but du programme ITER est de réussir à créer un tel plasma pour suffisamment longtemps afin que la fusion devienne une source viable d’énergie alors que le record actuel de vie d’un plasma est de six minutes. Ensuite, il faut développer une méthode pour produire le deuxième combustible, le tritium. Celui-ci est radioactif, mais bien moins dangereux que les déchets des actuelles centrales nucléaires. L’idée est de le produire au sein de la centrale en utilisant une partie de l’énergie générée, mais la technique est pour l’instant loin d’être au point. Elle sera aussi étudiée par le projet ITER. Enfin, la transformation en électricité de l’énergie créée par la fusion nécessite le refroidissement de la paroi du réacteur avec de l’eau qui est ensuite utilisée pour faire tourner les turbines et générer ainsi l’électricité. Le problème est qu’aucun matériau connu jusqu’à aujourd’hui ne présente toutes les propriétés nécessaires pour résister à l’irradiation par les neutrons et au rayonnement de la fusion. La fusion pourrait faire partie d’une solution à long terme à la crise énergétique. ITER est un projet de recherche unique de par sa coopération internationale et son ambition technique. Mais il est purement expérimental et ne produira pas d’électricité (d’ailleurs aucun réacteur expérimental à fusion ne l’a fait jusqu’à présent). Les pronostics les plus optimistes évoquent un délai de 50 ans avant de produire de l’électricité par la fusion. Aucun des problèmes techniques mentionnés n’a été résolu. Elle n’est donc pas une solution à l’urgence énergétique. Un budget colossal qui absorbe une large partie de celui de la rechercheSur la durée de la construction et de l’exploitation prévue, ITER comptera, en moyenne, pour 1 % du budget de recherche français... salaires inclus. Rapporté au budget d’équipement pour la recherche le coût d’ITER devient colossal, freinant ainsi les programmes de recherche sur les alternatives énergétiques. La fusion utilise plus de la moitié du budget européen de recherche et développement dans l’énergie. La part française dans ITER équivaut à l’ensemble des crédits d’équipement et de fonctionnement de tous les laboratoires de physique et de biologie en France pour vingt ans. Enfin, un réacteur à fusion sera sans doute une des machines les plus complexes que l’homme ait jamais construites. On peut légitimement se demander si elle pourra être une alternative viable pour la plus grande partie de l’humanité. Les recherches autour de ITER doivent-elles être maintenues ou devons-nous mettre les priorités ailleurs ? Il est difficile de trancher. Mais, pour commencer, il faudrait arrêter toutes les recherches militaires et s’attaquer au gaspillage énergétique phénoménal pour libérer davantage de crédits pour la recherche civile tout en réduisant immédiatement la consommation d’énergie. Ensuite un rééquilibrage en faveur de la recherche sur les sources d’énergie comme le photovoltaïque est urgent car des progrès rapides sont nécessaires. Par exemple, la production actuelle de panneaux solaires utilise le trifluorure d’azote, 17 000 fois plus nocif pour le réchauffement climatique que le CO2 et actuellement non réglementé par l’accord de Kyoto. D’autres panneaux solaires plus efficaces utilisent le tellure de cadmium qui est extrêmement toxique. Un important effort de recherche est donc nécessaire pour trouver des matériaux alternatifs pour envisager cette source d’énergie à une échelle significative. Enfin, tout comme la fission nucléaire, la poursuite des recherches comme ITER devra être intégrée dans un débat global sur l’énergie sous contrôle des citoyens.

Clément LelacPour en savoir plusLe site officiel d’Iter : http://www.iter.org/fr/accueilPour les arguments en faveur de l’arrêt d’Iter Voir la tribune de Georges Charpak, Jacques Teiner et Sébastien Balibar dans Libération du 10 août 2010 : http://www.liberation.fr/societe/0101651202-nucleaire-arretons-iter-ce-reacteur-hors-de-prix-et-inutilisable Iter, un soleil artificiel à portée de main, Réseau Sortir du nucléaire :http://www.sortirdunucleaire.org/index.php?menu=sinformer&sousmenu=brochures&soussousmenu=ITER&page=index