Publié le Dimanche 13 mars 2022 à 10h51.

Pour « sauver le climat », arrêter le nucléaire : Les alternatives écosocialistes pour en sortir

Contre les projets actuels de maintien et même d’accroissement de la production nucléaire d’électricité (en France en particulier), il faut rappeler que celle-ci est évidemment dangereuse, qu’elle n’est en rien une solution au réchauffement climatique et qu’elle s’accompagne de graves problèmes démocratiques et socio-économiques.

Le nucléaire, un projet des classes dominantes, hier et aujourd’hui

Dans les années 1950, Eisenhower affirmait : « L’énergie nucléaire va fournir à l’humanité de l’énergie gratuite en quantité illimitée ». Et le gouvernement français justifiait ainsi le lancement du programme nucléaire tricolore : « Fabriquer de l'or est peu de chose auprès de ce qu'a réussi l'alchimie moderne en fabriquant du plutonium, qui vaut beaucoup plus que l'or et deviendra plus vite que l'or la source de la richesse et de la puissance du pays1 ». De Gaulle et les présidents successifs de la Vème République sont toujours  intervenus en soutien à une politique du fait accompli qui tient lieu de débat. Mais depuis les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima, le mythe de l’eldorado nucléaire ne fait plus recette. Alors, pour poursuivre la même politique, ils instrumentalisent de façon éhontée les angoisses liées à la crise climatique.

Suite au dernier rapport du GIEC, Daniel Tanuro, auteur de L’impossible capitalisme vert, a décortiqué les ressorts de cette propagande : « D’abord, bien sûr, la culpabilisation des consommateurs, sommés de “changer leurs comportements”… sous peine de sanctions. Ensuite, un ensemble de trucs et astuces dont certaines sont franchement grossières (la non-prise en compte des émissions des transports aériens et maritimes internationaux, par exemple) […]. Mais, au-delà de ces trucs et astuces, tous ces gestionnaires politiques du capital croient (ou feignent de croire) désormais dur comme fer en une solution miracle : l’augmentation de la part des “technologies bas carbone” (nom de code pour le nucléaire, notamment les microcentrales) et, surtout, le déploiement desdites “technologies à émissions négatives” (TEN - ou CDR, pour Carbon Dioxyde Removal), censées refroidir le climat en retirant de l’atmosphère d’énormes quantités de CO2 à stocker sous terre. C’est l’hypothèse dite du “dépassement temporaire du seuil de dangerosité” de 1,5°C2. »

Un bilan sérieux de l’empreinte carbone globale de l’électricité nucléaire reste à faire. Mais les éléments disponibles montrent qu’elle n’est pas « bas carbone » : que ce soit pour son rendement (33%, contre 85% pour l’hydroélectricité), l’extraction et l’enrichissement de l’uranium (qui pendant 33 ans a mobilisé la production électrique de 2 réacteurs de la centrale du Tricastin), la construction, le transport (minerai, combustibles, déchets) ou encore le traitement, l’entreposage et le stockage des déchets (300 ans de surveillance active pour Cigéo3 à Bure)…

En France, pays le plus nucléarisé, Macron priorise la relance du nucléaire pour sa campagne présidentielle. Il utilise sa nouvelle présidence du conseil de l’UE pour faire classer le nucléaire en « énergie verte », et bénéficier ainsi des subventions européennes. Hormis le NPA, EELV et LFI, tous applaudissent, du RN au PCF en passant par LR et le PS. Mais les dirigeants d’EELV n’ont jamais eu d’états d’âme pour s’assoir sur leurs « convictions » en échange d’une place au gouvernement (Cécile Duflot, Emmanuelle Cosse, Jean-Vincent Placé, François de Rugy, Barbara Pompili…). Et LFI dédiabolise le nucléaire militaire au nom de l’intérêt supérieur de la nation : « La dissuasion consiste à disposer du moyen d’infliger des dégâts par la riposte, toujours supérieurs au bénéfice de l’attaque que pourrait espérer l’agresseur. La dissuasion repose aujourd’hui sur l’arme nucléaire. La France a construit sur cette stratégie son indépendance et l’autosuffisance pour sa défense. Cette stratégie fonctionne4. » Mais personne n’est dupe, à commencer par Macron, qui répète comme un mantra : « sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire, sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil5 »

Fort de cette union sacrée, il a annoncé la relance du programme électronucléaire pour « atteindre la neutralité carbone en 20506 » :

• prolongation de 40 à 60 ans de la durée de vie des anciens réacteurs, malgré des malfaçons sur des composants essentiels des réacteurs (dossiers falsifiés à l’usine AREVA du Creusot)

• construction de 6 réacteurs EPR, en plus de celui de Flamanville, malgré des défauts avérés sur la cuve (non-respect des normes)

• développement des SMR (small modular reactors), technologie issue des sous-marins nucléaires… mais loin d’être au point.

Il s’agit là d’un pillage des fonds publics et des moyens de recherche au détriment des énergies renouvelables.

Pour convaincre que le nucléaire est une « énergie décarbonée », le lobby est à la manœuvre via trois canaux :

• Les exploitants : « Pour faire du CO2 avec du nucléaire, il va falloir charbonner » et « c’est bien de la vapeur d’eau qui sort des tours de refroidissement de nos centrales7 ! »

• La SFEN8, qui classe les énergies en 3 catégories : « fossile, intermittente, fissile » (reste donc l’énergie « fissile »)

• Les influenceurs, via les réseaux sociaux, financés en sous-main par les multinationales (EDF, Bouygues, Vinci, BNP …) notamment le gourou Jancovici9 (« Veni, vidi, Jancovici » pour ses adeptes) et son Shift Project.

Des personnalités médiatiques servent aussi cette désinformation, comme Nicolas Hulot ou le « photographe écolo » Yann Arthus Bertrand ...

Pourtant, ces dernières semaines, deux informations auraient dû doucher leur enthousiasme béat :

Selon un lanceur d’alerte travaillant dans l’industrie nucléaire10, la détérioration des assemblages de combustibles à l’origine de l’arrêt de l’EPR de Taishan (Chine) serait dû à un défaut de conception de la cuve affectant tous les EPR. Dans la foulée, EDF a repoussé à mi-2023 la mise en service de l’EPR de Flamanville, portant son retard à 11 ans et demi, avec un coût multiplié par 4. Comment imaginer dans ces conditions qu’on lance la construction de nouveaux EPR ?   

Cinq réacteurs des centrales de Civaux, Chooz et Penly sont en arrêt prolongé pour des problèmes de corrosion et fissures sur les tuyauteries d’un système de sécurité11. Ce sont pourtant les plus récents du parc EDF. Comment imaginer dans ces conditions qu’on prolonge les plus anciens ?

L’ASN dénonce le « manque d’anticipation » d’EDF. Ces problèmes montrent que le nucléaire est une énergie de plus en plus « intermittente ».

Le nucléaire, dangereux et inutile pour le climat

L’aveuglement des inconditionnels de l’atome les conduit à négliger deux phénomènes bien connus : d’une part le vieillissement des matériaux (corrosion, pathologies du béton, isolants des câbles …) et l’obsolescence (électronique, logiciels …), d’autre part les facteurs organisationnels et humains (perte de savoir-faire, sous-traitance, erreurs...), pourtant à l’origine de 80% des incidents. Les agents EDF et sous-traitants font les frais d’une politique de profit maximum : risques d’exposition, intensification du travail, suppressions de postes… Cette course aux économies, dans un contexte de dérèglementation du marché de l’énergie rend le nucléaire civil encore plus dangereux. Et la décision « jupitérienne » de relancer le nucléaire, sans débat ni contrôle démocratique, devient un facteur aggravant. Les ingrédients d’un accident nucléaire sont plus que jamais réunis.

Alors parlons sérieusement, à partir d’un exemple concret. Sur le site du Tricastin (le plus étendu d’Europe), 4 réacteurs EDF, 6 usines nucléaires Areva et 2 installations Seveso sont vulnérables au risque sismique (sous-évalué) ou d'inondation (rupture d’un barrage ou d’une digue). Et des gazoducs longent le site et passent sous la digue en amont … On sait depuis Fukushima qu’un effet domino est possible : une catastrophe chimique (nuage de gaz toxique d'hexafluorure d'uranium) compliquerait davantage l'intervention en cas d'accident(s) nucléaire(s).

Toujours à la centrale du Tricastin, une fuite de tritium (hydrogène radioactif) a eu lieu du 25 novembre au 8 décembre 2021. Elle n'a été détectée que le 11 décembre suite à « un dysfonctionnement du système d'alerte » et n'a été déclarée par EDF que le 20 décembre à l'ASN, qui a publié un communiqué le 23 décembre, soit un mois après le début de l'accident. La soi-disant transparence de l’industrie nucléaire est une fois de plus prise en défaut. C’est d’ailleurs dans cette même centrale qu’un cadre lanceur d’alerte avait porté plainte le 5 octobre 2021 contre EDF. Il l’accuse d’avoir minimisé des incidents pour prolonger les réacteurs au-delà de 40 ans. Pour avoir refusé cette politique de dissimulation, il a subi des représailles.

Tous ces risques et graves anomalies n’ont pas empêché l’ASN d’ouvrir la voie à une prolongation de l’exploitation des réacteurs du Tricastin jusqu’à 50 ans. Ni gêné EDF, qui a préselectionné ce site pour y construire une paire d’EPR. Les négationnistes le répètent : « le nucléaire est sûr12 ».

Quant à la lutte contre le dérèglement climatique, les promoteurs de l’atome passent sous silence l’essentiel :

Le nucléaire est hors sujet car inutile pour le climat : l’électricité ne pèse que 20% de l'ÉNERGIE consommée sur la planète (le reste, c’est les combustibles pour le transport, le chauffage ...). L'électricité d'origine nucléaire c'est 10% de l’ÉLECTRICITÉ produite sur la planète13, donc 2% de l’énergie !

Le nucléaire est hors délai car irréaliste techniquement : pour atteindre 50 % du mix énergétique électricité (soit 10 % de l’énergie consommée dans le monde), il faudrait multiplier par 5 le nombre de réacteurs, donc construire 2000 réacteurs partout sur la planète pour tenir compte des réacteurs en fin de vie, mobilisant d’énormes ressources en eau. Or les réserves exploitables d’uranium seront épuisées en 2070 (pour les 440 réacteurs en service).

Et surtout, le nucléaire est dangereux car hors de contrôle : les déchets restent

radioactifs 100 000 ans et 1 % du parc mondial a subi une fusion du cœur en 50 ans. D’ici 2070, avec 5 fois plus de réacteurs, combien d’accidents majeurs seraient à redouter ?

C’est donc une certitude : le nucléaire ne sauvera pas le climat.

De plus, le dérèglement climatique intensifie les évènements extrêmes : cyclones/tempêtes, inondations (centrale du Blayais en 1999, centrales de Cooper et Fort Calhoun aux USA en 2011…),

sècheresses, incendies (centrale de Los Alamos)…

C’est aussi une autre certitude : le climat ne sauvera pas le nucléaire.

Pour un monopole public de l’énergie, secteur « essentiel »

EDF en quasi-faillite, privatisée en partie avec maintien d’un nucléaire public, c’est la socialisation des coûts et la privatisation des bénéfices. Un système quasi mafieux, l’ARENH14 brade aux opérateurs privés le quart de la production électrique des centrales EDF à un tarif privilégié (42 €/MWh), inférieur au prix de revient (60 à 120 €/MWh15). Le marché libéralisé de l’énergie livré à la concurrence capitaliste laisse à la charge de la société toutes les conséquences sociales, économiques, environnementales et sanitaires. Les dividendes versés aux actionnaires d’EDF (22 milliards € en 13 ans) auraient été plus utiles à développer les énergies renouvelables.

Les entreprises d’État du nucléaire se comportent en multinationales sans scrupules ; Orano-Areva soutient l’autoritarisme au Niger. Le NPA propose :

leur mise sous contrôle total par les salariéEs et usagerEs, sans indemnités ni rachat, pour contrôler et décider en fonction des besoins prioritaires, en préservant la biodiversité.

• un monopole public de l’énergie, pour satisfaire les besoins en électricité. Et, pour un approvisionnement constant, une coopération dans le cadre d’un accord de service public européen mutualisant les productions : éolien off-shore, géothermie dans le nord, solaire dans le sud.

Le capitalisme pousse à la consommation, crée des marchés socialement inutiles. Le principal gisement d’énergie, c’est les économies : arrêt des gabegies, du tout-auto, des gadgets inutiles, de l’obsolescence programmée… au profit d’appareils sobres en énergie, de l’isolation thermique, de la maîtrise de l’éclairage public, d’une politique de transports cohérente et efficace.

Face aux risques liés au dérèglement climatique, une révolution énergétique est inéluctable :

• l’énergie la moins dangereuse, la moins carbonée et la moins chère est celle qu’on ne consomme pas : la sobriété énergétique est le principal gisement de ressources énergétiques, qui reste à exploiter : en finir avec le gaspillage en réduisant la surconsommation électrique ;

• l’énergie socialement nécessaire peut et doit être couverte en quasi-totalité par des énergies renouvelables, en veillant à préserver les ressources naturelles et la biodiversité : passer d’une énergie de stock (nucléaire, hydrocarbures) à une énergie de flux (renouvelables).

Cela implique une vraie rupture vers une société non productiviste (économies, chasse au gaspi, arrêt des grands projets inutiles et imposés, de l’obsolescence programmée…), une société écosocialiste (éco comme économique et écologique), qui engage une révolution énergétique (place du travail, productions socialement utiles, respect/protection des éco-systèmes…).  En un mot, décider nous-mêmes de notre avenir, donc retirer le pouvoir des mains des capitalistes.

Pour une énergie décarbonée et dénucléarisée

Avec plus de 150 installations nucléaires réparties dans tout le territoire, notre pays est bien placé pour une prochaine catastrophe. Les substances radioactives sont transportées d'un site à l'autre. Chaque année plus de 130 000 colis radioactifs sillonnent le pays, 90 % par la route, les autres par rail (500 convois par an selon la SNCF), air et mer. En plus des risques d’accident, l’exposition du public à la

radioactivité (aire d'autoroute ou quai de gare) est parfois supérieure aux limites sanitaires. C’est d’autant plus scandaleux que ces transports sont couverts par le « secret défense » !

Au bout de la chaîne, les déchets radioactifs prolifèrent. C’est une dette écologique léguée aux générations futures.

Résultat de choix antidémocratiques (décisions imposées, sans information ni contrôle) et de mesures répressives, le bilan du nucléaire est suffisamment accablant pour qu’on y mette un coup d’arrêt. Ceci d’autant que, comme on vient de le démontrer, il est inopérant dans la lutte contre le dérèglement climatique. Pour organiser cette reconversion et la mise en sécurité des installations, le savoir-faire des travailleurEs du nucléaire est incontournable.

L’arrêt du nucléaire aura lieu sous une forme ou une autre : suite à une catastrophe, par épuisement des ressources ou par une décision d’arrêt, rapide et maîtrisée, seule voie réaliste et responsable. Le NPA a élaboré un programme permettant d’arrêter le nucléaire en moins de 10 ans, centré sur la sobriété électrique et le développement des énergies renouvelables. Une véritable politique écosocialiste ne peut se faire sans l’organisation socialisée de la production au sein d’un monopole public de l’énergie, un vrai service public débarrassé de l’énergie nucléaire, cogéré par les salariéEs et les usagerEs.

Relance ou arrêt du nucléaire, il faut choisir. N’en déplaise aux écolos partisans d’un « nucléaire de transition » sur plusieurs décennies, il n’y a pas de troisième voie.

  • 1. Félix Gaillard (3/07/1952)
  • 2. Site Gauche Anticapitaliste – Belgique (9/08/2021)
  • 3. Projet de stockage souterrain de déchets
  • 4. Tribune Lachaud-Mélenchon - Le Monde (11/01/2022)
  • 5. Macron (8/12/2020)
  • 6. Macron (9/11/2021)
  • 7. Publicité ORANO, destinée au « grand public »
  • 8. Société Française de l’Energie Nucléaire, association 1901 (promotion du nucléaire)
  • 9. Dossier l‘Anticapitaliste hebdo (25/11/2021) ; Jancovici cible un public jeune « sensibilité climat »
  • 10. Courriel de la CRIIRAD à l’ASN (27/11/2021)
  • 11. La Tribune (13/01/2022)
  • 12. Le Monde (19/01/2022)
  • 13. Production électrique mondiale 2021: nucléaire 10%, renouvelables 26% (dont hydroélectricité 16%), fossiles 64%
  • 14. Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique
  • 15. Cour des Comptes.