Devant des centaines de personnes, le tribunal de Turin a prononcé la condamnation des deux employeurs, accusés du procès Eternit (entreprise de transformation de l’amiante), à seize ans de prison et à 250 millions d’euros de dommages et intérêts aux parties civiles.
Première condamnation au pénal après un procès historique pour une filière dont on estime la responsabilité à 10 000 morts en France, 500 000 en Europe et des millions dans le monde. Historique ce procès, étalé sur plus de quatorze mois, où 557 salariéEs ont été entenduEs. Le dossier d’instruction atteint 220 000 pages, et 1 200 places du tribunal de Turin avaient été mises à disposition pour les personnes souhaitant assister aux audiences.
Historique car pour la première fois ont été condamnés non pas des lampistes mais les responsables. Pour Sara Panelli, substitut du procureur de la République : « la responsabilité incombe à ceux qui définissent la stratégie de l’entreprise, à ceux qui prennent les décisions fondamentales quant à l’empoussièrement dans les usines où l’on transforme l’amiante ».
Le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny (ex-propriétaire d’Eternit Suisse et actionnaire d’Eternit Italie de 1976 à 1986) et le baron belge Louis de Cartier de Marchienne (actionnaire et administrateur au début des années 1970), jamais présents au procès, et donc jugés par contumace, ont été reconnus responsables de la mort de près de 3 000 personnes en Italie, ouvrieErs ou habitanEts de villes où Eternit Italie avait des usines.
La présence de nombreuses organisations syndicales et associations venues du monde entier tant pour le procès que pour le prononcé du verdict, atteste plus encore de l’importance de ce jugement. En effet, si l’amiante utilisée massivement, en particulier dans le secteur de la construction (amiante ciment), est aujourd’hui interdite dans de nombreux pays, plus de 100 millions de travailleurEs sont encore exposéEs à l’amiante sur leur lieu de travail et au moins 90 000 personnes meurent chaque année de maladies liées à l’amiante, dont dix par jour en France.
Ce désastre sanitaire a été couvert pendant des décennies par des instances où a pris corps la stratégie, baptisée « usage contrôlé de l’amiante » : la SAIAC (S.A. internationale de l’amiante ciment), cartel formé dès 1929 par Eternit, l’AIA (Association internationale de l’amiante) et en France la Comité permanent amiante, se sont acharnés à la cooptation de scientifiques et de syndicalistes afin d’entraver un étiquetage trop parlant sur la dangerosité de l’amiante.
Si l’interdiction de l’extraction et de l’utilisation dans tous les pays est un objectif incontournable, il reste à généraliser la condamnation des responsables, notamment en France où, à ce jour, aucun responsable n’a été jugé. Comme le déclare Jean-Paul Tessonnière, avocat spécialisé sur les questions de santé au travail, il faut demander aux « autorités judiciaires en France d’en tirer les conséquences : pourquoi ce qui est possible en Italie n’est pas possible en France ? » L’association française des victimes de l’amiante (Andeva) dénonce le contraste « insupportable » entre les situations française et italienne. Alors qu’en Italie « la justice a été rendue », ici « le procès des responsables n’a même pas commencé. »
Robert Pelletier