« Un scandale d’État ? » titre le quotidien économique en ligne la Tribune à propos du CICE. C’est dire qu’il y a matière à vraiment s’interroger sur une politique qui a fait pleuvoir les milliards sur les entreprises.
Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a été mis en place en janvier 2013 après le rapport sur la compétitivité produit par Louis Gallois. Depuis, ça a été le silence radio du côté gouvernemental sur son impact. Pourtant les milliards pleuvent : de 11,3 milliards d’euros à près de 20 milliards d’euros en 2015. Le montant des sommes récupérables par les entreprises pour 2013, 2014 et 2015 s’élève à 48 milliards d’euros qui viennent s’ajouter aux dizaines de milliards d’aides déjà accordées aux entreprises : compensation aux 35 heures, crédit impôt recherche, allégements multiples…
Open bar pour les patrons
Le crédit d’impôt auquel a droit chaque entreprise est fondé sur la masse des salaires inférieurs à 2,5 SMIC. D’après la loi, les entreprises doivent utiliser le CICE pour investir, embaucher ou conquérir de nouveaux marchés. Néanmoins, les instructions transmises du ministère de l’Économie à l’administration fiscale en juillet 2013 stipulent que l’utilisation du CICE ne sera pas contrôlée par l’administration fiscale. Les entreprises ont donc en fait les mains libres pour faire ce qu’elles veulent.
En mars 2016, l’émission Spécial Investigation sur Canal plus portait notamment sur le CICE et analyse l’exemple de Radiall, l’entreprise du patron du Medef, Pierre Gattaz. Celle-ci a empoché plusieurs millions d’euros du CICE mais sans créer aucun emploi. Sur le commerce extérieur, non plus, les effets ne sont pas probants, d’autant plus que le dispositif concerne en fait surtout des emplois non directement soumis à la concurrence étrangère : ainsi La Poste a largement bénéficié du CICE... ce qui ne l’empêche pas de supprimer des emplois.
Plusieurs années après la mise en œuvre de la mesure, il n’existe toujours aucune évaluation officielle en dehors de déclarations triomphalistes du gouvernement. Un rapport d’une commission du Sénat rédigé par Marie-France Beaufils, sénatrice communiste, et publié mardi 20 juillet, revient sur le dossier.
Un cadeau sans contrepartie
Il rappelle d’abord que le CICE, qui devait permettre de favoriser le redressement de la compétitivité de l’industrie française a largement raté sa cible : le secteur manufacturier capte seulement 19,4 % du crédit en 2014 contre 19,2 % pour le commerce. Reprenant des estimations produites par un organisme d’étude, le rapport du Sénat estime que le crédit d’impôt a permis de maintenir 125 000 emplois. C’est cher de l’emploi maintenu : 160 000 euros par emploi pour 20 milliards par an. Un calcul simple montre que, pour un coût équivalent, des embauches directes auraient permis de créer environ 3 fois plus d’emplois.
Par ailleurs, d’après le rapport, le CICE a permis la survie d’entreprises ayant des difficultés de trésorerie, notamment de PME pressurées par leurs gros clients et ne pouvant obtenir de crédit des banques.
Au total, les dirigeants des entreprises ont fait ce qu’ils voulaient de cette rentrée financière supplémentaire. Quant aux dispositions selon lesquelles « L’entreprise a une obligation de transparence par rapport à l’utilisation du CICE, vis-à-vis des partenaires sociaux », inutile de dire que ça a été du vent. En un mot, le CICE a seulement contribué à la restauration des profits, dont en système capitaliste, patrons et actionnaires disposent librement...
Henri Wilno