Publié le Mardi 27 septembre 2016 à 21h23.

Entreprises, profits et trésor de guerre

L’appréciation de la situation des entreprises est un exercice difficile dans le moment actuel. Elle dépend du contexte économique général mais pas seulement...

La croissance économique reste faible. L’OCDE (organisation de coopération et de développement économique), qui regroupe les grandes puissances économiques (hors Chine), vient ainsi de réviser à la baisse ses prévisions. Pour la France, l’Insee vient de fournir une nouvelle estimation du deuxième trimestre 2016 (le PIB a diminué de 0,1 %) qui rend encore plus douteuse la prévision de croissance du gouvernement pour l’année. Par ailleurs, notamment dans la zone euro, règne un climat déflationniste (les prix augmentent très peu) significatif de tendances latentes à la surproduction.

Mais le profit des entreprises dépend aussi de la plus-value extorquée aux salariéEs et de la rentabilité du capital. De ce point de vue, pour ce qui est de la France, le taux de marge des entreprises s’est redressé, signe que les salaires restent à la traîne. Quant à l’utilisation du capital, si on se limite à l’industrie, bien que la production ait profondément reculé depuis 2008 (de l’ordre de 15 %), le taux d’utilisation des capacités de production tend à progresser, ce qui est significatif du fait que des installations importantes ont été mises au rancart (tous les ans le nombre d’usines qui ferment est nettement supérieur à celles qui ouvrent), même si cela n’est pas suffisant du point de vue du capital, comme en témoignent les plans en cours (Alstom n’en est qu’un parmi d’autres). Ces observations vont dans le sens d’une stabilisation, voire d’une hausse du taux de profit.

Celle-ci est confirmée par les calculs que l’on peut faire à partir des données de l’Insee : le taux de profit des sociétés non financières en France (pour la partie française de leur activité), en baisse depuis la fin des années 1990, est stabilisé depuis 2011 et remonte en 2015.

Ce calcul souffre certes de diverses limites. C’est une moyenne qui concerne toutes les sociétés (hors banques). Or les taux de profit peuvent varier selon les secteurs ou les tailles d’entreprise. Ainsi les grandes entreprises ont les moyens de pressurer leurs sous-traitants, et elles ne s’en privent pas...

Rentabilité à court terme

Par ailleurs, les grands groupes sont de plus en plus internationalisés : selon une étude récente sur les sociétés du CAC 40 (les 40 plus importantes cotées en Bourse à Paris), la France représente en 2015 environ un quart de leur chiffre d’affaires (26 %, soit 10 points de moins qu’en 2006). Une partie importante de leurs profits sont donc réalisés à l’étranger.

La même étude montre que, malgré la crise, la faible croissance de la production et des prix, le chiffre d’affaires des sociétés du CAC 40 a augmenté en moyenne de 2 % par an depuis dix ans et, que, en 2015, hors les entreprises de l’énergie (affectées par la baisse des prix du pétrole), ce chiffre d’affaires a progressé de 6 %. Leur rentabilité reste plus faible qu’avant la crise, mais l’amélioration est là, comme en témoigne la hausse de leur marge opérationnelle (qui mesure la rentabilité des ventes) : comme l’écrivent dans leur langage les auteurs de l’étude, les « nombreux plans d’économies ou d’efficacité mis en place semblent ainsi porter leurs fruits ».

Enfin, ces grandes entreprises se sont nettement désendettés en moyenne et ont accumulé près de 26 milliards d’euros de trésorerie. Un analyste cité par le journal financier les Échos, note qu’« elles ont accumulé un petit trésor de guerre et on peut espérer qu’elles le réinvestiront à l’avenir ». Ce que les entreprises vont faire de ces réserves est une des questions qui se posent pour l’avenir. Un rapport récent d’un organisme des Nations unies (la CNUCED) paru ce mois-ci souligne que la croissance des bénéfices ne s’accompagne pas, notamment dans la période la plus récente, d’une hausse des investissements. Ce rapport incrimine une recherche de plus forte rentabilité à court terme par les actionnaires et les dirigeants.

Au-delà de l’incertitude de ces chiffres et des problèmes d’interprétation qu’ils soulèvent, une conclusion se dégage : il y a un rétablissement partiel et inégal de la santé des entreprises... mais la course à la rentabilité va continuer avec son cortège de suppressions d’emplois et de fermetures d’établissements.

Jacques Cherbourg et Henri Wilno