Publié le Jeudi 15 octobre 2015 à 07h04.

Évasion Fiscale : L’OCDE et les trous dans le gruyère

Le gruyère est un fromage suisse (mais pas que…) qui comporte de nombreux trous… comme la législation fiscale de ce pays, très accueillante aux placements discrets des non-résidents.

On peut distinguer plusieurs sortes de trous dans la législation fiscale des différents pays, allant du parfaitement légal (les niches fiscales, ainsi la détaxation de l’investissement dans les DOM pour la France) ou presque légal (« l’optimisation fiscale » qui utilise les imprécisions, volontaires ou non, des réglementations officielles), au presque illégal (l’évasion fiscale et les paradis fiscaux) et enfin au totalement illégal (la fraude fiscale pure).

Le ralentissement de la croissance mondiale pèse sur les finances publiques de tous les pays, et l’OCDE (le club des pays riches) a décidé de s’attaquer à l’un de ces trous béants, l’évasion fiscale des multi­nationales... Après deux ans de discussions, il vient de présenter un rapport proposant quinze « actions », un plan qui devrait être adopté par les chefs d’État du G20 en novembre prochain.

L’objectif est simple : faire en sorte que les multinationales paient leurs impôts là où elles sont réellement actives. Selon le rapport (BEPS), la planification et l’optimisation fiscales des multinationales coûtent chaque année entre 100 et 240 milliards de dollars (on remarquera la grande précision des estimations !) Parmi les méthodes utilisées, il y a par exemple les prêts intra-groupes entre maison mère et filiales avec des taux calculés pour faire apparaître les bénéfices dans les paradis fiscaux, ou la localisation formelle des brevets, et de leur rémunération, dans ces paradis fiscaux.

Un contrôle des États les uns par les autres doit être mis en place. Pour l’Union européenne, une directive sur l’échange d’informations sur les accords fiscaux qui permettent aux multinationales d’échapper en partie ou totalement à l’impôt dans les pays européens où elles sont installées, doit entrer en vigueur au 1er janvier 2017. Si l’on en croit un responsable de BEPS, « l’époque où l’optimisation fiscale était au cœur de la stratégie des multinationales est révolue »... Cela rappelle fâcheusement la déclaration tonitruante de Sarkozy il y a quelques années : « il n’y a plus de paradis fiscaux ! »

Vidé de son contenu...

En réponse à l’annonce de l’OCDE le 5 octobre, la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires (qui regroupe notamment Attac, le CADTM, le CCFD-Terre solidaire) souligne que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes : les propositions initialement ambitieuses ont été rapidement vidées de leur contenu à cause de résistances très fortes de certains États et d’un lobby très actif du secteur privé.

En conséquence, les solutions proposées aujourd’hui ne permettront pas de répondre à l’objectif initial d’imposer les entreprises là où elles ont une activité réelle et seront insuffisantes pour mettre un terme aux échappatoires fiscales qui permettent actuellement aux multinationales de ne payer que très peu d’impôt. La réforme conserve et légitime certains mécanismes dommageables tels que celui sur les brevets... Les solutions proposées sont extrêmement complexes et soumises à l’interprétation des États et des entreprises : ainsi, il existe de fortes chances de voir se multiplier les conflits d’interprétation et les procès intentés aux États par des entreprises.

De plus, contrairement à ce que l’OCDE annonce, il n’y a aucune avancée en matière de transparence : seules les administrations fiscales auront accès à plus d’informations. Et plus de cent pays ont été exclus de la prise de décision dans cette réforme de la fiscalité internationale qui se veut globale.

Jacques Cherbourg