Trois ans après sa démission du gouvernement, Cahuzac comparaissait le 8 février dernier pour fraude fiscale et blanchiment. Souvenez-vous, il avait « droit dans les yeux » indiqué ne pas posséder de compte à l’étranger... alors que plus de 600 000 euros y étaient planqués. Le scandale fut terrible d’autant plus qu’il éclatait après d’autres scandales portant sur le même sujet.L’affaire Cahuzac, comme celles des Bettencourt, de Guy Wildenstein (un richissime marchand d’art), des Balkany ou de nombreuses entreprises, montrent depuis un certain temps que cette fraude est le sport préféré des classes dominantes.
Pratique systémique des classes dominantes
La fraude fiscale dans la classe dominante est monnaie courante, et fait souvent partie de l’histoire familiale. En effet, le nom de la famille Peugeot qui s’est établie en Suisse, mais aussi celui de quelques sénateurs ou anciens ministres, apparaissaient déjà dans la première liste des fraudeurs français... en 1932. C’est donc une pratique assez ancienne et que rien n’a vraiment arrêté.Selon le syndicat Solidaires Finances publiques, la fraude fiscale s’élèverait entre 60 et 80 milliards d’euros par an, un montant équivalent au déficit budgétaire de l’État, et selon un rapport européen à plus de 1 000 milliards en Europe. Comme le disent les Pinçon-Charlot, on assiste là « au plus gros casse des caisses de l’État », avec, il faut le dire, une certaine complaisance de la part de l’État.En effet, c’est en partie au sein de l’État que s’organisent les faveurs fiscales dont bénéficient les plus riches, avec le fameux « verrou » de Bercy, dérogation au droit commun datant de 1977 ayant pour objectif « d’éviter l’acharnement fiscal sur certains contribuables », et qui donne au seul ministre du Budget le pouvoir d’engager des poursuites judiciaires pour fraude fiscale, permettant ainsi d’étouffer la poursuites contre certains amis.
Un arsenal de lutte contre la fraude fiscale ?
Face aux scandales à répétition dus à des journalistes sérieux ou à des lanceurs d’alerte, le gouvernement Hollande a dû réagir. C’est en ce sens qu’a été votée, en décembre 2013, une loi de lutte contre la fraude fiscale renforçant les sanctions pénales, en créant un procureur de la République financier avec des magistrats spécialisés, en modernisant le contrôle fiscal externe... tout en maintenant le fameux « verrou » de Bercy.
Une loi sur la transparence de la vie publique, obligeant les éluEs et les membres du gouvernement à déclarer leur patrimoine a également été adoptée. Mais on peut se demander à quoi sert cette « transparence », puisque régulièrement on apprend que certains ministres et éluEs oublient quelques éléments de leur patrimoine, sans être réellement inquiétés. A aussi été mis en place un nouveau service au sein de la direction générale des Finances publiques, le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) qui permet aux contribuables ayant « oublié » de déclarer des avoirs détenus à l’étranger de régulariser leur situation, leur permettant ainsi d’avoir des pénalités moindres. On a connu l’État moins compréhensif...
Grâce aux suppressions massives d’emplois, des « paradis fiscaux » en France ?
Dans son rapport annuel dévoilé mercredi 10 février, la Cour des comptes demande des efforts supplémentaires au gouvernement pour mieux lutter contre la fraude fiscale et réclame plus de moyens pour notamment augmenter le taux de recouvrement jugé très faible : « Si le taux global de recouvrement des créances issues du contrôle fiscal externe connaît de fortes variations annuelles, il demeure nettement inférieur à 50 % en moyenne, soit un niveau très peu satisfaisant ». La Cour souhaite que l’État aille plus loin et déclenche une réforme en profondeur pour renforcer la lutte contre la fraude au niveau local, jugée insuffisante. La formation des agents est également à revoir, notamment pour renforcer le contrôle des revenus et du patrimoine des particuliers et indique que les règles de gestion interne doivent aussi être réformées car, selon la Cour, elles laissent « peu de marges de manœuvre au service du contrôle fiscal, en favorisant la mobilité à l’initiative des agents au détriment de l’intérêt du service ».
Tout cela est bien joli, mais ce que ne dit pas la Cour des comptes, c’est que les services de contrôle de la direction générale des finances publiques (DGFiP) n’ont plus les moyens humains de combattre efficacement la fraude. En effet, en cinq ans, le contrôle fiscal a perdu 3 173 emplois équivalent temps plein. Un chiffre destiné à croître en 2016, compte tenu des 2 130 suppressions d’emplois à la DGFiP décidées dans la loi de finances... créant ainsi dans certaines villes, et pas des moindres, de véritables « paradis fiscaux ». Et à qui on dit merci ?
Joséphine Simplon