Lundi 5 décembre, Bruno Le Maire expliquait sur France Info que le pic de l’inflation n’est pas encore passé, sans rien proposer d’autre que de patienter. Mais pour les classes populaires, la situation devient de plus en plus intenable.
En novembre, les prix ont continué d’augmenter à un rythme annuel de 6,2 % selon l’Insee. Quand le budget était déjà serré, ce sont les débuts de mois qui deviennent de plus en plus difficiles. La presse se fait ainsi l’écho des nombreuses familles contraintes de rogner sur leurs dépenses de Noël. Mais même les dépenses les plus élémentaires sont surveillées de près, voire sacrifiées. La consommation d’énergie a chuté de 7,9 % en octobre, pas seulement à cause d’une météo clémente, mais sous le poids des factures. La consommation alimentaire a elle aussi baissé de 7,5 % sur un an, car les marges d’économies sur les autres dépenses ont déjà fondu et il faut littéralement se serrer la ceinture. Les prix de l’alimentation font partie de ceux qui ont le plus grimpé : + 12,2 % sur un an selon l’Insee. Une hausse provoquée en grande partie par les spéculateurs qui ont fait monter les cours mondiaux des céréales en profitant des pénuries provoquées par les mauvaises récoltes liées au dérèglement climatique et à la guerre en Ukraine.
Une inflation intenable : 12 % d’inscritEs supplémentaires aux Restos du cœur
L’effet de ces hausses de prix sur les classes populaires se mesure directement dans les banques alimentaires, qui voient affluer toujours plus de demandeurEs. Les Restos du cœur ont ouvert leur 38e campagne fin novembre avec 12 % d’inscritEs supplémentaires. Les difficultés se voient aussi aux abords des caisses de supermarchés, où s’amoncèlent de plus en plus de produits abandonnés en dernière minute, quand il faut ajuster à l’euro près le montant du ticket de caisse. Même les vols à l’étalage semblent en hausse de 17 %, d’après les chiffres (très partiels) de la police, symbole d’une misère qui ne laisse pas d’autre choix pour vivre.
Et pendant ce temps, les banques en ont profité pour relever leurs taux d’intérêt. Conséquence directe de la hausse des taux directeurs1 par la Banque centrale européenne (BCE), faite au nom de la lutte contre l’inflation, la remontée des taux d’intérêt fait peser deux fois la hausse des prix sur les classes populaires : à l’achat et au moment de rembourser le crédit à la consommation. Loin de réduire l’inflation, cette politique permet surtout aux banques d’engranger des bénéfices record, BNP-Paribas en tête avec 8 milliards d’euros de profits depuis le début de l’année, soit 12 % de plus qu’en 2021.
Côté transports, la SNCF a déjà annoncé une hausse de 5 % en moyenne sur ses tarifs en janvier, ce qu’elle ose appeler un « bouclier tarifaire » quand, dans le même temps, les gestionnaires d’autoroutes prévoient 4,75 % de hausse au péage. Et pour les FrancilienEs, le pass Navigo pourrait passer de 75,20 à 90 euros mensuels, soit près de 20 % de hausse, la présidente de Région, Valérie Pécresse, et l’État se renvoyant la balle.
Un salaire réel en baisse de 2 % sur un an et des mouvements de grève en hausse
Heureusement, le monde du travail a commencé à réagir. Depuis un an, les grèves se multiplient sur la question des salaires, souvent couplée à des revendications sur les effectifs et les conditions de travail. Ce week-end, le ras-le-bol des contrôleurEs s’est exprimé largement à la SNCF (voir ci-contre), avec 60 % de TGV et Intercités annulés en raison des grèves. À Sanofi, 16 sites de production sont en grève reconductible pour 500 euros d’augmentation. Mais ce sont aussi des salariéEs de plusieurs magasins Leclerc qui étaient en grève les vendredi 2 et samedi 3 décembre. Leur patron, Michel Édouard Leclerc, qui prétend se faire le défenseur du pouvoir d’achat, avait fait mine de donner raison aux raffineurs en grève pour des hausses de salaires en octobre. Les salariéEs de l’enseigne ont décidé de le prendre au mot et revendiquent à leur tour les 10 % d’augmentation de salaire que leur patron disaient « légitimes ». Avec des salaires le plus souvent au Smic et des heures supplémentaires rarement payées, ils sont les mieux à même de juger de l’hypocrisie de Leclerc et y répondent de la meilleure manière.
Les diverses grèves ont permis d’obtenir des hausses de salaire dans de nombreuses entreprises, faisant progresser le salaire mensuel de base de 3,7 % dans le privé, selon le ministère du Travail. Mais cette hausse reste inférieure à celle des prix, si bien que le salaire réel est en baisse de 2 % sur un an. Les grèves localisées ou sectorielles permettent parfois d’obtenir des avancées, mais il faudra des victoires à plus large échelle pour revenir sur plusieurs décennies de compression des salaires accélérée par l’inflation. Cela passe par le rassemblement du monde du travail derrière des revendications communes, seul à même d’inverser le rapport de force. Et au moment où les travailleurEs britanniques se mobilisent de manière inédite depuis de longues années, nous ne pouvons que souhaiter que cette convergence déborde les frontières.
- 1. Il s’agit notamment des taux auxquels les banques commerciales se refinancent auprès de la Banque centrale après avoir accordé des crédits